Grotesque
« This work was rejected. » [1]
Non, cette accroche ne fait en aucun cas référence aux bananes muettes et autre cuiller démesurée de Don Hertzfeld [2], mais à la décision de la BBFC de refuser une quelconque classification à Grotesque sur le territoire anglosaxon. Une décision, rare de nos jours, qui rappelle que l’Angleterre fut le théâtre des Video Nasties dans les années 80 [3], et se plaît encore, de temps en temps, à jouer les censeurs virulents. Sans défendre cette décision radicale, il faut toutefois bien avouer que le film de Kôji Shiraishi tiendrait de l’affront pur et dur, s’il n’était pas si conscient d’une nature, résumée en son titre, à même de lui conférer un intérêt singulier, forcément très sélectif.
Grotesque... si le terme désigne aujourd’hui ce qui est « ridicule, bizarre, risible, mêlé d’un certain effroi » [4], il s’agissait à l’origine d’un style de caricature. Habitué d’un cinéma certes horrifique mais nettement plus humain, Shiraishi s’attaque avec Grotesque à la caricature d’un genre et donc de ses plus « illustres » représentants – Hostel pour ne citer que lui : le soi-disant torture porn. Une critique investie qui prend la forme d’une véritable raillerie déformante, grossit le trait de chaque débordement qu’Eli Roth promettait sans jamais l’offrir. Ne se souciant que peu du communément acceptable et estampillant d’emblée son film, non sans humour, comme obligatoirement Unrated, Shiraishi boucle la boucle avec un cinéma extrémiste tel que pratiqué fût un temps par Katsuya Matsumura (la série des All Night Long). Et rappelle que le genre, essentiellement nippon finalement, n’a jamais fait l’objet d’un travail pertinent chez les américains, trop soucieux de rester à portée de main du mainstream pour nager à poil dans la fange, les yeux et la bouche ouverts, forcés de déglutir en dépit de l’odeur et des grumeaux.
If you’re gonna do something, do it right.
Du coup, il faut moins de deux minutes à Shiraishi pour lâcher ses proies aux mains d’un vicieux bourreau, mû par un désir d’excitation sexuelle et qui va s’amuser à torturer de frais tourtereaux, éloignés d’une longueur d’intestins et condamnés à endurer, en silence, les coups de scalpel, marteau, ciseaux et tronçonneuse d’un docteur impassible, sous peine que l’autre y passe aussi. Tant que monsieur ne se plaint pas en effet, mademoiselle reste en vie, subit au plus un découpage de tétons ainsi qu’un viol a mano, prétexte à un fugace moment de squirting, histoire de relâcher un peu de tension sexuelle puisque les victimes n’ont pas même eu le temps de consommer leurs sentiments.
Grotesque forcément, ne joue pas le jeu hypocrite d’Hostel et consorts, de l’attente déceptive d’un spectacle gore déshumanisé puisqu’il n’est, presque, qu’une succession d’intrusion violentes et autres ablations, mises en scène avec brio et une froideur sans égale, de laquelle se dégage tout de même un certain humour. Comme lorsque, au deux tiers de leur calvaire, les victimes se retrouvent dans une chambre clinique, et, du haut de leurs moignons respectifs, s’estiment heureux d’avoir survécu et se déclarent prêts à faire un bout de vie ensemble, puisque le docteur, satisfait de leur endurance, est prêt à les libérer. Dommage qu’il change finalement d’avis.
S’il y a une chose que l’on peut comprendre dans la décision de la BBFC, c’est de refuser le film en bloc, sans même lui donner l’opportunité d’alléger son propos de quelques coupes. Remonté, Grotesque ne durerait que quelques minutes et ne proposerait rien de substantiel. Condamné à être Unrated de la propre volonté de son auteur, c’est un film que l’on ne saurait apprécier qu’avec un recul qu’il ne favorise jamais vraiment – la distance de la bande son ne faisant que renforcer la cruauté intrinsèquement gratuite de l’ensemble – même si son final réellement grotesque rappelle qu’il n’est qu’une vaste blague, à même d’enterrer un genre amené à mourir, comme un certain cinéma gore avant lui, d’excès qui entérinent son inadéquation évidente avec l’exploitation grand public. Une œuvre définitive, en quelque sorte, qui aura certainement le mérite de remettre tout un pan du cinéma horrifique US de cette décennie à sa place : non pas des œuvres courageuses mais bien timides et bridées, sans la moindre coucougnette à barder de clous à coups de marteaux bien dosés.
Grotesque est disponible en DVD au Japon, sans sous-titres. Mais ceux-ci sont largement disponibles sur Internet pour favoriser la vision de l’édition.
[1] Cf le site de la BBFC, la commission de censure anglaise, à propos de la soumission de Grotesque pour une sortie DVD, initialement prévue en septembre dernier chez 4Digital Asia et depuis annulée.
[2] En savoir plus : le site officiel de Bitter Films.
[3] A ce sujet, lire l’édifiant Seduction of the Gullible : The Truth Behind the Video Nasty Scandal de John Martin.




