Gutterballs
C’est en feuilletant le Telerama de la semaine dernière [1] que j’ai pu sourire en découvrant, au détour de deux pages traitant de l’épiphénomène culturel qu’est le Lebowski Fest [2], la passion de certains américains pour l’ode des frères Coen au bowling et à la glande nonchalante. Ryan Nicholson, canadien pour sa part, en est certainement un amateur lui aussi ; pourtant pas de White Russian dans Gutterballs mais des bières qui n’arrivent jamais, et pour seule perruque rappelant la tignasse de The Dude, celle d’un travesti, Sam, surnommé The Guy, que Steve et sa bande de dégénérés aiment à molester, cerise sur le gâteau des pistes de bowling aux abords desquels ils trainent leur très grossier néant intellectuel.
Steve et ses potes donc, se plaisent à affronter et humilier la bande rivale de Sam, au sein de laquelle se pavane, sans culotte, la belle Lisa que le demeuré a toujours rêvé de posséder. Une discussion entre les deux groupes s’envenime à coups de poings et de bouteilles de bière, et Lisa interrompt la brutalité de Steve en lui lâchant une boule sur le pied. La compétition remise au lendemain, Lisa revient dans le club pas si désert que ça pour retrouver son sac à main ; et se retrouve à payer le prix fort pour son affront, violée par le pied cassé et ses potes, sauf un qui refuse de faire trempette et se retrouve « contraint » de troquer son membre contre une quille pour conclure l’assaut. Ouch.
Le lendemain, tout ce petit monde se retrouve comme si de rien n’était ou presque, Steve le pied dans le plâtre et Lisa étrangement silencieuse. La partie commence et, sur les écrans du bowling fermé au public, un troisième compétiteur invisible, dénommé « BBK », enchaîne les strikes signés d’une tête de mort, alors que les jeunes qui s’éloignent des pistes, le temps d’une pipe ou pour aller chercher une bière, ne reviennent jamais. Eh oui, n’en déplaise à nos héros qui s’interrogent mais jamais ne s’interrompent, ce ne sont pas des points que les crânes railleurs décomptent, mais les victimes qui vont s’accumuler au cour de la nuit, aux mains du mystérieux tueur coiffé d’un masque réalisé à partir d’un sac de bowling : le Bowling Bag Killer...
De son titre en néons à son insupportable bande son synthétique, Gutterballs est, vous l’aurez compris, un slasher façon rape revenge, qui affirme haut et fort sa passion pour le cinéma contre nature des années 80. Bien que je n’ai pas souvenir que celui-ci ait été si insultant.. Nicholson se fait fort en effet, de donner double sens à son titre bien trouvé ; autant dénomination officielle d’un lancer raté, que sobriquet pertinent pour ses protagonistes hyper sexués tout droits sortis des égouts. Les personnages de Gutterballs quand ils ne sont pas grossiers à outrance, emplissant les dialogues de toutes les combinaisons de fuck et bitch imaginables, sont aberrants de stupidité et de laideur, tous tournés vers la promiscuité sexuelle que le slasher aime tant mettre en scène pour mieux la condamner. Dans ce domaine comme dans le reste, Nicholson n’y va pas avec le dos de la cuiller, taquine même la restriction. Pourtant, bien que le film démarre par un interminable et insupportable viol, qui va du flipper à la table de billard et lorgne donc autant du côtés des Accusés que d’Insatiable, difficile de taxer de simple misogynie opportuniste un réalisateur qui exhibe, pour une ou deux fentes singulièrement effrontées, un paquet de chibres, dont un qu’il se plait à sectionner dans la longueur, plein écran. Re ouch.
Car oui, le but de Gutterballs est d’être le plus sale possible, et il le fait bien. Au-delà de sa surréaliste violence verbale et visuelle, riche de visages arrachés, têtes explosées et tripes dégoulinantes, l’image est atroce et les acteurs et actrices qui y déambulent le sont tout autant. Gutterballs est un hymne absolu à la bêtise, à l’insolence, au sexe et à la violence crasses ; qui se plaît à rire de la stupidité de son scénario pour mieux y puiser sa liberté, non pas d’expression, mais simplement de divertissement mature et donc immature, en marge de toute décence. Et le pire dans tout ça ? C’est que, pour peu qu’on ne soit pas offusqué par la vision d’un 69 qui tourne à la double suffocation – je ne vous fait pas de dessin – et par autant de mépris pour l’humanité, même filtrée par la lie, on passe un très bon moment, bisseux et répugnant, devant la mise au scène ad hoc de Nicholson. A consommer sans modération, avec le regard de l’adolescent défoncé, à la libido de supermarché, qui sommeille en vous ; celui-là même qui rêvait de déballer son attirail à peine hirsute, pour une gâterie rapide aux lèvres d’une junkie exhubérante et sanguinolente, dans les salles d’arcade des eighties. Il se reconnaîtra ; pendant que les autres, bien évidemment, passeront de très très loin leur chemin.
Gutterballs est disponible un peu partout en DVD, notamment chez nous grâce au bon goût de Neo Publishing.
[1] Je précise, pour les curieux, que cet article a été écrit à la mi-décembre.
[2] Voir le site officiel de la manifestation.






