Haeundae
Ma plaque tectonique est plus grosse que la tienne.
C’est au cours du tsunami de 2004 que le père de Yeon-hee est décédé, alors qu’il péchait en haute mer avec ses collègues. Piégé sous une cage en métal, il n’avait pu être sauvé par Man-sik, contraint d’abandonner son ami et mentor à l’assaut de vagues démesurées, non sans que celui-ci lui ait confié la garde de sa fille. Quelques années plus tard, le natif de Haeundae [1] vit dans l’ombre de cette blessure, qui l’empêche d’exprimer son amour pour Yeon-hee. Celle-ci vit tant bien que mal de restauration, à la sauvette et sans licence, s’attirant les foudres de la mère de Man-sik, qui tient un restaurant, bien légitime, au bord de la plage. En parallèle de ce drame retenu, Kim Hwi, déstabilisé par le retour de son ex-femme et la rencontre de sa petite fille qu’il ne connaît même pas, tente tant bien que mal de convaincre ses supérieurs de la prévention des catastrophes naturelles, qu’une série de séismes dont l’épicentre se rapproche des côtes coréennes, pourrait bien causer un megatsunami. Quant au frère sauveteur de Man-sik, Hyeong-sik, il commence une relation atypique avec Hee-mi, une jeune fille fortunée qu’il a sauvée de la noyade de façon musclée, et qui lui extorque des sentiments plus qu’elle ne les suscite...
C’est un casting prestigieux que le réalisateur Yun Je-gyun, fidèle à l’actrice Ha Ji-won avec laquelle il avait déjà tourné Sex is Zero et Miracle on 1st Street, a réuni pour mettre en boîte Haeundae, la production la plus chère de l’histoire de la Corée à ce jour. On imaginait mal pourtant, l’intérêt d’avoir le talent colossal de Sol Kyung-gu à disposition d’un film catastrophe dont les effets spéciaux auraient tenu la vedette, alors que tant d’acteurs plus simplement physiques auraient pu faire l’affaire face à la magnifique héroïne de Duelist et autre Park Joong-hoon (Nowhere to Hide). A la vision du métrage pourtant - dont le titre original, simple dénomination géographique, est plus pertinent que la réduction en Tidal Wave de la sortie vidéo anglaise, pressée de débarquer en Occident – on comprend mieux les choix de Yun.
Car Haeundae n’est pas un film catastrophe à proprement parler, mais plutôt un drame protéiforme, visant à dresser en toile de fond un tableau hétéroclite de l’évolution socio-économique de la région de Pusan, tout en incarnant la collision de ses émotions, jusqu’alors retenues, dans une ponctuation catastrophique aussi dévastatrice et impressionnante que, finalement, fugitive. Plutôt que de singer l’hyper poussif 252 : Signal of Life, parent proche nippon, et de faire de l’aftermath de la catastrophe un lieu d’accomplissement et de résolution, Haeundae choisit de conclure sa narration dans un cataclysme symbolique, à même de transcender l’épilogue de drames plutôt sobres, mais surtout déjà joués. Ce faisant, il s’assure de concilier l’humain et le grand spectacle, sans qu’aucun des deux ne prenne le dessus sur l’autre.
C’est certainement dans sa dimension humaine toutefois, que Haeundae remplit le mieux son objectif, son choix de vies croisées échappant globalement aux clichés du genre (à l’exception de la paternité secrète de Kim Hwi). Sa galerie de personnages autant que son contexte, et même les scènes de panique, renvoient au chef-d’œuvre de Bong Joon-ho, The Host, dans la multiplication des tons et des approches cinématographiques. Les séquences réunissant Man-sik et Yeon-hee sont impeccables, bénéficiant de l’éternelle intensité de jeu de Sol Kyung-gu, tandis qu’à l’opposé, l’amourette de son frère tiendrait presque du mo lei tau, teinté d’une caractéristique agressivité féminine coréenne. L’ensemble de ces relations fonctionne tant et si bien, qu’on en viendrait presque nous aussi, à oublier les avertissements de Park Joong-hoon.
La multiplication prolongée des ambiances et des protagonistes, sur fond de modernisation à contre-cœur de la zone de Haeundae, sert à merveille la catastrophe lorsqu’enfin elle se produit, donnant sens au découpage de l’inondation brutale, à la perception par bribes de sa brutalité instantanée. Haeundae s’abandonne alors à la grandiloquence du film catastrophe, mais il le fait encore avec un certain anti-conformisme, comme le démontre la scène humoristique où un ami de Man-sik, au cul bordé de nouilles, échappe à d’innombrables chutes de containers, d’un bateau échoué en équilibre instable contre le pont de Gwangan. Yun Je-Gyun ne tente pas plus que de raison de nous faire croire que ses héros sont plus à même de survivre que les autres, sacrifie ce qu’il faut sur l’autel du mélodrame, et transcende habilement le cadre bien défini du blockbuster diluvien.
Ce drame spectacle s’extrait donc intelligemment de la surenchère de violons héroïques habituellement de rigueur, mais cède tout de même à un patriotisme discret autant que maladroit, la Corée se targuant, au travers des paroles de Kim Hwi, d’être aussi active d’un point de vue sismique que son voisin japonais (d’où le titre, racoleur et gratuit je l’avoue, de cet article). Si je suis pour ma part satisfait d’avoir trouvé dans ce blockbuster estival un film nettement plus humain et intéressant que je l’espérais, il se peut que la portion congrue réservée à la destruction dans Haeundae, bien qu’elle soit réussie et éprouvante, déçoive ceux qui pensaient s’y hydrater au point de renvoyer Roland Emmerich faire des vagues dans sa baignoire.
Haeundae est disponible chez Optimum Releasing en DVD zone 2 UK, sous-titré anglais, dans une belle copie, sans autre supplément que la bande annonce du film et amputé de 13 minutes par rapport à la version coréenne. Mais celle-ci n’étant même pas encore sorti en DVD en Corée, on ne va pas non plus faire les fines bouches.
[1] « District » (Gu) de Pusan célèbre pour sa plage, considérée comme la plus belle en Corée.



