Hana yori mo naho
L’eau ne reste pas sur les montagnes, ni la vengeance sur un grand coeur. Proverbe Chinois
Lorsqu’en octobre 2004 le cinéaste nous confiait, à l’issue de la projection du bouleversant Nobody Knows (2004), qu’il souhaitait se lancer dans la réalisation d’un jidai-geki, l’on était en droit de s’interroger sur ses réelles intentions. Allait-il marcher sur les plates-bandes d’un Yôji Yamada en pleine gloire populaire, ou serait-il tenté de dynamiter le genre à l’image de l’iconoclaste Mayonaka no Yaji-san Kita-san (2005) du génial Kankuro Kûdo ? La réponse est ailleurs ; hybride, subtile, parodique et sincère à la fois, reflétant la sensibilité à fleur d’âme du cinéaste.
Au tout début du 18ème siècle, le jeune Sozaemon (Junichi Okada), issu d’une famille de samouraïs dont le père a été tué au cours d’un duel, se retrouve exilé dans un quartier des bas-fonds d’Edo, en quête de l’assassin, afin de restaurer l’honneur familial, et accomplir ainsi les dernières volontés du patriarche. L’inexpérience et la rudesse des conditions de vie provoquent le doute chez Sozaemon ; un doute amplifié au contact de la bonhomie des habitants de ce bidonville, parmi lesquels la jeune veuve Osae (Rie Miyazawa) et son fils Shinnosuke, pour qui le jeune homme se prend d’affection.
Si à première vue Hana yori mo naho évoque davantage les chroniques “Kurosawaiennes” des bas-fonds de Donzoko (1957) ou de Dôdes’ kaden (1970), chef-d’oeuvre auquel il fait ouvertement référence avec ses taudis insalubres et son idiot du village, il place au centre de son récit humaniste le questionnement et la validité des valeurs traditionnelles au regard de notre société, en y apportant une critique de fond, sans oublier d’en parodier le ridicule.
Kore-Eda est un cinéaste réaliste et profondément contemporain, demeurant attaché à ses thèmes de prédilection : la disparition, la mémoire, l’identité. Bien que présents en filigrane, ils passent ici au second plan devant le questionnement existentiel de son héros face à son devoir filial. Si Nobody Knows constituait une somme de ses travaux antérieurs, Hana yori mo naho fait figure de nouveau départ. Au prise cette fois avec la vénérable maison de production Shochiku, héritière d’une certaine tradition du réalisme poétique et inventeur du style “Kamata” [1], le cinéaste épouse un cadre et des méthodes de production différentes - fini le 16 mm et les lumières naturelles de ses précédents opus -, tout en restant fidèle à lui-même.
En prenant le parti de faire de la vengeance de Sozaemon le pivot de son récit, il s’attaque en fait à la substance même du jidai-geki dont Chushingura (l’histoire des 47 Rônins) constitue la substantifique moelle. C’est avec intelligence que Kore-Eda superpose à l’histoire d’un samouraï anonyme sommé de venger son paternel, celle emblématique des 47 Rônins fomentant leur vengeance envers le samouraï Kira Yoshinaka [2], ancien maître des cérémonies de la maison du Shogun Tokugawa Tsunayoshi. L’auteur, qui s’est toujours appuyé sur la réalité et le documentaire pour illustrer ses propos, suit une logique similaire en retraçant ces destins parallèles. Mais au lieu de les glorifier, à l’instar de ses contemporains lors de chaque période hivernale [3], il les parodie avec humour et intelligence pour en démontrer le caractère vain à l’aube de notre nouveau millénaire. Le cinéaste usant même de gags comiques, avec une certaine finesse, pour appuyer son propos lors d’une mise en abîme du récit où l’illustration de la vanité risible de la vengeance, culmine dans une pièce de théâtre montée par les gueux. La théâtralité est d’ailleurs constamment présente et sert autant à la distanciation, que de subterfuge aux personnages eux-mêmes, pour masquer leur lâcheté.
A l’image de la société contemporaine japonaise, le récit de Kore-Eda se situe volontairement au coeur d’une période de changement. Les joutes de sabres sont passées de mode, le quidam étant davantage préoccupé par savoir comment ils va payer son loyer, que de régler ses différends arme au poing. Sozaemon, élevé sous l’autorité d’un père héritier d’une tradition dont le but existentiel est une digne mort sacrificielle au combat, se trouve désemparé face à ses changements. Propulsé d’un univers familial sécurisé, à un bidonville peuplé de crève-la-faim, il éprouve des difficultés à s’adapter. Confronté au réel, il fait l’expérience de la souffrance et de la misère, et tel un Don Quichotte moderne, doit se rendre à l’évidence de sa naïveté et de son manque de courage.
Tout en montrant une certaine réalité de la vie d’une époque, brillamment illustrée par Yôji Yamada dans sa trilogie récemment clôturée par Bushi no ichibun (2006), il démystifie l’univers de la bravoure au romantisme suicidaire chère à la tradition féodale du samouraï, montrant son jeune héros s’évanouissant devant une pathétique tentative de suicide ou préférant enseigner l’écriture aux enfants illettrés du quartier, que de poursuivre l’assassin de son père pour le trucider dans les règles de l’art. Mais Kore-Eda fait aussi de l’anti-Yamada, refusant tout sentimentalisme facile, préférant de longs silences à l’émotion retenue - lorsque Sozaemon se retrouve face au meurtrier de son père (Tadanobu Asano) - et aux plans larges.
L’auteur subvertit un genre usé jusqu’à la corde tout en condamnant le recours à la vengeance et son cycle de violence, lors d’une mystification théâtrale pleine d’esprit visant à tromper la famille de Sozaemon et faire croire à l’accomplissement d’une vengeance héroïque. Kore-Eda, que l’on ne savait aussi satirique, se moque aussi ouvertement des 47 Rônins et de son fameux messager, interprété par un Susumu Terajima qui semble abonné aux gags scatologiques, depuis qu’il s’est fait coiffé d’un étron par Katsuhito Ishii (voir l’article The Taste of Tea). Et que dire de l’instrumentalisation que font les habitants du quartier, appâtés par le gain opportuniste de l’exploitation de la vengeance des Rônins, clin d’oeil malicieux aux dérives des médias, propres à tirer profit de chaque fait divers...
En offrant la vision d’une humanité chaleureuse, gaillarde, avec ses faiblesses et son pragmatisme de circonstance, le cinéaste tend une voix au peuple ; celle des déshérités et des laissés pour compte de la société japonaise. Le miroir de Hana yori mo naho peut se lire dans le quartier de Sanya [4] ou le long des files de tentes bleues peuplées de SDF, bordant la rivière Sumida du Tokyo moderne, que les médias officiels occultent volontairement, et évoquées dans le Shangri-La (2002) de Takashi Miike.
La filiation avec Nobody Knows est aussi présente dans le regard tendre et sensible que l’auteur porte sur l’enfance à travers Shinnosuke, le fils d’Osae. C’est au contact de l’enfant que Sozaemon retrouve une raison de vivre et de croire en l’avenir, se dédiant au final à l’enseignement, message et gage de foi en l’avenir des générations futures. Hana yori mo naho, plus qu’une parodie de jidai-geki, est un film éminemment contemporain. Il parle de la difficulté de trouver sa place au sein de la société, du poids des traditions familiales, des préoccupations économiques qui semblent l’unique enjeu d’une société dont le lien social tend à se distendre.
Si Kore-Eda possède un indéniable talent d’écriture, tant dans les dialogues que dans la description de ces personnages uniques, la forme semble ici maîtrisée mais peu inventive, parfois pesante malgré la présence de Yamazaki Yutaka, son fidèle chef op’. Au contacte des méthodes de production de la Shochiku, Kore-Eda semble avoir perdu la légèreté qui faisait merveille dans Nobody Knows. La qualité du jeu des acteurs compensant une mise en scène quelque peu engourdie. Outre la pléiade de célébrités revêtant les nombreux seconds rôles d’une grande richesse, peuplant ces cabanes de fortunes, Rie Miyazawa, habituée au genre - et déjà protagoniste dans Tasogare Seibei (2002) - est rayonnante, alors que le Janiizu [5] Junichi Okada, malgré sa gueule d’ange, s’en sort de façon convaincante.
Kore-Eda s’approprie un genre pour le détourner tout en revisitant l’histoire traditionnelle de son pays, la parodiant et la confrontant avec la société contemporaine aux prise avec ses changements. Même s’il est voué à faire figure de film mineur dans la filmographie de son auteur, Hana yori mo naho demeure un film optimiste, tendre mais sans sensiblerie facile, et d’un humanisme rationnel, chose peu fréquente par les temps qui courent.
Existe en DVD japonais en édition limitée et édition simple, avec des sous-titres anglais optionnels.
[1] Emplacement des studios de la Shochiku, reconstruits au sud de Tokyo, et dirigés à partir de 1924 par Shiro Kido.
[2] Se reporter au texte original.
[3] Les faits réels qui se sont déroulés autour de mi-décembre sont prétexte à la diffusion chaque année au Japon, que se soit au théâtre, au cinéma ou à la télévision, de reconstitutions historiques de l’événement.
[4] Quartier des travailleurs journaliers à Tokyo
[5] Membre de l’écurie de Johnny Kitagawa, pape des producteurs de boys’ bands nippon dont l’agence Johnny’s Jimusho compte notamment : SMAP, TOKIO, V6, KinKi Kids, Arashi, KanJani 8, KAT-TUN... Junichi Okada faisant parti des V6, réunis pour la remière fois au grand complet devant le grand écran dans Hard Luck Hero (2003) de Sabu.





