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Japon

Hatsukoi

aka Hatsu-koi, First Love | Japon | 2006 | Un film de Yukinari Hanawa | D’après un roman de Misuzu Nakahara | Avec Aoi Miyazaki, Keisuke Koide, Masaru Miyazaki, Rena Komine, Tasuku Emoto, Munetaka Aoki, Yûya Matsuura, Shunji Fujimura, Tadahiro Aoki, Haruko Wanibuchi

Premier amour version romantique.

Adaptation d’une douteuse auto-confession publiée par l’écrivain Misuzu Nakahara, clamant sa participation dans “l’affaire des trois cent millions de yens” [1], Hatsukoi, comme son nom l’indique se veut davantage une ode au jun-ai (amour pur) qu’une reconstitution d’un des casses les plus incroyables de l’histoire contemporaine du Japon.

1967 : Misuzu, jeune lycéenne solitaire et mélancolique dont le père est décédé et la mère disparue, se sent étouffée dans sa famille d’adoption, élevée auprès de son oncle. Elle décide alors de rejoindre son frère, un jeune bellâtre et noceur invétéré traînant ses guêtres au coeur de Shinjuku, dans un Jazz Kissa [2] au sein d’un clan d’amis qui s’y retrouvent régulièrement pour faire la fête ou protester dans des manifs étudiantes radicales. Rapidement acceptée au sein du groupe, elle est tout d’abord intriguée par l’un de ses membres, Kishi, un jeune taciturne au comportement étrange et distant du reste du groupe. Ils commencent peu à peu à se rapprocher l’un de l’autre, alors qu’un jour Kishi lui demande de l’aider dans l’accomplissement d’un vol mûrement préparé.

Les films centrés autour de la pureté de l’amour sont une sorte d’institution au Japon et notamment à la télévision où les dorama pullulent chaque saison. Sirupeux et aptes à humidifier les yeux les plus insensibles, du Winter Sonata au Sekai no Chushin de Ai wo Sakebu, les mini-séries font les beaux jours des network nationaux. L’un des thèmes obsessionnels des japonais, le premier amour (hatsukoi), constitue à ce titre la forme la plus pure, du fait de l’innocence originelle, en général celle de la jeune fille concernée, traduisant l’idéal romantique par excellence des jeunes adolescentes.

S’il est souvent banalisé, servant de tremplin à de jeunes idoru en quête de popularité, les réalisateurs font rarement preuve d’originalité en la matière. Avec Hatsukoi, à ne pas confondre avec le film éponyme de Tetsuo Shinohara, autre habitué du genre, la présence de la jeune Aoi Miyazaki, l’une des jeunes actrices les plus prometteuse de sa génération (Gaichu, Loved Gun, Eureka), toute auréolée du carton de Nana, semble un gage de qualité et pouvait augurer d’échapper à un romantisme trop fleur bleue. En outre, Yukinari Hanawa (Tokyo Skin, 1996) situe son récit dans une période trouble du Japon, celle du milieu estudiantin de la fin des années 60, relativement peu évoquée dans le cinéma contemporain, dont le cinéaste indépendant Koji Wakamatsu avait su à son époque, et comme nul autre, saisir l’air du temps.

Face à la violence des manifestations estudiantines sur fond de répressions policières - l’un des jeunes en sortira handicapé - , le groupe semble soudé. Résolu à vivre en marge, chacun affirmant son libre arbitre face au monde adulte qui s’efface, tout en poursuivant leurs rêves d’accomplissement (le jeune Takeshi se voit écrivain en herbe). Il est d’ailleurs frappant de constater qu’à aucun moment le visage des parents paternels des deux marginaux n’apparaît à l’écran, choix judicieux du cinéaste de signifier cette absence de repères qui caractérisait la turbulence de cette génération, dont une part s’est sacrifiée pour des idéaux de gauche, qui n’ont depuis jamais pu retrouver grâce similaire dans l’opinion publique nipponne.

Même si le contexte politique enveloppe le périple vécu par Kishi et Misuzu, le réalisateur reste vague et superficiel, préférant donner à son métrage une teinte nostalgico-romantique - la séquence où Misuzu apprend à conduire une moto - aux accents bruineux, par une photographie stylisée sans excès chromatiques et des décors sobres offrant un charme délicat et intemporel à l’ambiance sixties, que faire montre d’un réalisme social qui s’accorderait finalement modérément avec les intentions commerciales initiales. Yukinari Hanawa préfère donner une vision fantasmée et romantique de cette époque, parsemant son métrage de références et clins d’oeils prévisibles : des mini-jupes de circonstance, à la musique de jazz, en passant par les ouvrages de Sartre traînant sur les tables (La Nausée et Le Mur), sans oublier le théâtre expérimental bourgeonnant, et les bas-fonds de l’East Shinjuku, repères notoires de la jeunesses radicale de l’époque.

Plutôt que d’expliciter les raisons d’un vol né d’une contestation politique et d’un rejet d’une éducation paternelle qu’on pressent fort rigide, l’auteur se penche sur nos deux tourtereaux, sorte de “Caliméro” modernes, dont les émotions les effleurent sans jamais les pénétrer, comme la pluie suintant sur le visage attendrissant et mélancolique de la divine Aoi Miyazaki, en syntonie avec son personnage de jeune adolescente inadaptée et solitaire. Ce que nous montre Hanawa avec délicatesse, c’est la solitude de deux être qui s’unissent pour ensemble se sentir vivre, et s’abandonner dans cet acte inconsidéré. Leur naïveté en devenant touchante. La pureté de leur intention primant sur la morale de l’acte.

Loin d’être un prétexte à suspens ou à rebondissements, le rythme langoureux du métrage risquera d’en décevoir certains, la préparation de la rapine et son accomplissement qui se veut le point d’orgue du film, est l’occasion pour chacun des protagonistes de pouvoir enfin exprimer des sentiments, conjugués à un désir d’action. Comme dans tout bon dorama nippon, l’amour ne sera jamais exprimé de façon directe, noblesse de l’âme oblige. La caméra de l’auteur filme sans inventivité, servant pourtant avec justesse cette romance aigre-douce, tenant plus de la bluette romanesque que de la virée jusqu’au-boutiste de Bonnie and Clyde (1967).

Cette relation qui va se cristalliser lors d’un improbable et rocambolesque casse du siècle dont on peine à croire à la véracité, tant la facilité avec laquelle la jeune Misuzu se fait passer pour un policier à moto semble déconcertante, met aux prises deux êtres marqués par la rupture familiale, à l’image du groupe dont les adultes sont absents. Cette fatalité de la séparation, les deux héros la vivront comme un destin annoncé, porteur d’espoir, de souvenirs aussi ; tout autant que de désenchantement.

Le cast sert avec justesse et sans surjouer le récit autobiographique de Misuzu Nakahara. A noter que Misuzu et Ryo (Masaru Miyazaki), frères à l’écran comme à la ville n’en sont pas à leur première rencontre cinématographique puisqu’ils ont auparavant joué ensemble dans Eureka de Shinji Aoyama et Riyuu de Nobuhiko Obayashi.

Sans déborder d’originalité, Hatsukoi est loin des cannons des dorama sirupeux qui abreuvent l’entertainement nippon. D’une sobriété touchante, se singularisant par son ambiance nostalgique et sixties fleurant bon l’esprit soixante-huitard, le métrage s’avère un écrin sur mesure pour l’éblouissante Aoi Miyazaki (on se réjouit d’avance de la retrouver prochainement et ce pour la deuxième fois après l’hypnotique Eli, Eli, Lema Sabachtani ? aux côtés de Tadanobu Asano face à la caméra de Shinji Aoyama) portant sa mélancolie comme un linceul lumineux, même si l’on aurait souhaité dans cette relecture fantasque, la préservation d’une certaine ambiguïté dont la réalité historique semble encore et toujours parée.

Site officiel du film (en japonais) : www.hatsu-koi.jp

Hatsukoi est disponible en DVD HK sous-titré anglais, ainsi qu’en DVD au Japon, sans sous-titres.

[1Un matin du 1 décembre 1968, un jeune homme déguisé en policier motocycliste réussit à tromper quatre employés de la Nihon Trust Bank qui transportaient trois cent millions de yens dans le coffre de leur véhicule. Disparu dans la nature avec le butin, le jeue homme ne sera jamais identifié. Après sept ans d’enquête infructueuse, le crime est déclaré prescrit. L’auteur Misuzu Nakahara prétend avoir participé au vol et raconte son implication dans son ouvrage éponyme.

[2Tenus par des passionnés, les Jazz Kissa (kissa signifiant café en japonais) sont apparus au Japon dans les années 70. On peut y écouter de la musique de Jazz enregistrée, choisie en fonction des goûts du propriétaire.

- Article paru le mercredi 6 juin 2007

signé Dimitri Ianni

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