Helldriver
Si vous avez une sœur – ou faites vous-même partie de ces dames -, vous savez combien les relations mère-fille peuvent parfois être tendues. Aussi, vous comprendrez que lorsque la jeune Kika (Yumiko Hara), rentre chez elle pour retrouver sa mère Rikka (Eihi Shiina), superbe malade responsable avec son propre frère d’une vingtaine de meurtres cannibales, en train de finir de peler les jambes de son père pour s’en faire un casse-croute avant de passer le malheureux par les flammes, la situation s’envenime quelque peu. C’est alors que Rikka s’apprête à remettre violemment en question sa maternité, qu’une météorite lui traverse l’abdomen. Lucide, la mère arrache alors le cœur de sa progéniture pour remplacer le sien ; et tandis qu’une matière jaunâtre recouvre les deux femmes, les transformant en étranges chrysalides, Rikka émet un nuage de cendres extra-terrestres qui a tôt fait de transformer la moitié de la population nippone en zombies. Le Japon, divisé en morts en non-morts, se divise aussi sur la question de leur considération ; d’aucuns, comme le Premier Ministre, prônent les droits des zombies, êtres à part entière, tandis que les autres réclament leur annihilation. C’est dans ce contexte que Kika, équipée par les contre-pouvoirs d’un cœur artificiel qui alimente par ailleurs un sabre-tronçonneuse, est lâchée dans la nature pour venir à bout des créatures et de leur Reine, sa propre mère…
La vision de Helldriver, fantasme zombiesque de longue date de Yoshihiro Nishimura, rendu possible par la vitalité du label Sushi Typhoon créé par la Nikkatsu, débouche sur un constat ambigu. Si l’incroyable qualité de ce projet guérilla entérine définitivement la validité de la nouvelle vague gore nippone, dont le Screaming Mad George du XXIème siècle s’est fait le pilier incontournable, elle condamne certainement la majorité de ses confrères et compétiteurs à une mort annoncée, par la suffisance simpliste de leurs décalages, excès et extravagances. Helldriver, qui n’est pas vraiment un film de zombies en dépit des velléités premières de son auteur, est un freak film dont les défauts sont proportionnels à son enthousiasme et son ambition, plus fragile que Tokyo Gore Police. Néanmoins, il prolonge cette étonnante sensation de poème hardgore qui se dégageait du premier long métrage de Nishimura, incroyable proclamation stylistique. Contrairement à The Machine Girl, Samurai Princess et consorts, n’en déplaise à leurs généreux et très appréciables attributs, les excès de violence graphique ne constituent pas dans Helldriver, un but en eux-mêmes. Ce qui intéresse, consciemment ou non, son maquilleur/metteur en scène, c’est la beauté marginale qu’il devient possible de capturer, au travers des geysers écarlates et sections de chair qu’il provoque à un rythme épileptique.
Cette beauté marginale, bien entendu, est avant tout celle de deux actrices. Eihi Shiina (Audition), qui rempile au service du réalisateur après Tokyo Gore Police, et Yumiko Hara, sont des merveilles atypiques, dont seul un œil expert, amoureux d’une certaine difformité, peut transcender l’extrême asymétrie. La beauté de Kika et Rikka, à l’écran, n’est jamais évidente, en premier plan ; aussi Nishimura s’efforce-t-il de faire jaillir le sang ou sectionner tel ou tel corps, pour créer le prisme nécessaire à leur appréciation. Dans ces instants, la frénésie de Helldriver s’estompe, en faveur de compositions semi-figées, mais résultantes de mouvements, qui ne sauraient naître dans une simple séance de photographies statiques. Yumiko Hara, surtout, dépasse alors la folie bricolée du métrage pour briller de sa singularité, à la fois splendide et si peu féminine, si l’on excepte quelques gestes délicats – comme celui qui, dans l’ouverture de Tokyo Gore Police, m’amenait à évoquer l’attention à l’œuvre dans Kiki’s Delivery Service – et autres dynamiques capillaires, dont Nishimura sait souligner la grâce.
C’est cela ; au milieu de ses scènes de barbaque étirées à l’infini, lacunes de montage et de rythme qui sont autant de manifestes esthético-bisseux, au travers de ses mutations grotesques, cicatrices, difformités et voitures-zombies, dans sa démesure parodique mais miraculeusement jamais ridicule, par-delà ses évocations socio-politiques, Helldriver est plus que tout un film gracieux, qui s’emploie à la reconnaissance d’une beauté autre. Sa frénésie n’y est pas au service d’elle-même, si ce n’est, justement, de ses contrepoints fétichistes et contemplatifs. Ce sont ces interruptions esthétiques, essentielles, qui constituent à la fois la raison d’être et la justification, quoiqu’en pensera inévitablement une supposée intelligentsia, du cinéma absolument remarquable, intelligent et vivant de Yoshihiro Nishimura.
Helldriver a été présenté au cours de la 11ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2011).
Remerciements à Dennis Vetter et Dimitri.







