Odishon
Scénario de Daisuke Tengan & Ryu Murakami, d'après
un roman de Ryu Murakami
Avec Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Tetsu Sawaki, Jun Kunimura, Renji
Ishibashi, Ren Osugi, Toshie Negishi
Lui-même réalisateur
de plusieurs films basés sur ses propres romans (Tokyo
Decadence, Kyoko,...), le fer de lance de la "nouvelle
génération" littéraire nippone qu'est
Ryu Murakami, laisse pourtant les soins de l'adaptation de son roman-feuilleton
Audition à quelqu'un d'autre... Sans doute trop personnel,
trop dur à réaliser pour l'auteur des Bébés
de la consigne automatique si on en croit Takashi Miike*, c'est
donc au réalisateur de la trilogie Kuroshakai que
revient la tâche de porter à l'écran cette fable
horrifique moderne...
Shigeharu Aoyama (Ryo Ishibashi) vit seul
avec son fils Shigehiko depuis le décès de sa femme, une dizaine
d'années auparavant. Publicitaire émérite, il fait part à l'un de
ses collègues de son désir de se remarier. Ce dernier met au point
un plan particulièrement original pour tenter de satisfaire
Aoyama: il déterre l'un des scénarios de son ami,
susceptible de devenir un long-métrage après quelques
modifications, et organise une audition pour le rôle titre
- comme par hasard féminin - du film-excuse. Les jeunes actrices
défilent, et Aoyama n'a plus qu'à faire son choix
- qui se portera sur la timide Yamazaki Asami (Eihi Shiina)...
Audition n'est pas un
film d'horreur tel que les gens l'entendent généralement.
Imaginé comme une réponse féminine au texte
originel de Murakami, c'est une analyse perverse des rapports humains
modernes, perçue d'un point de vue féminin. Une espèce
de conte pour le cadre dynamique, une histoire à faire peur
qui pourrait paraître dans FHM ou Men's Health
pour remettre les idées de certains coureurs de jupon irréfléchis
en place.
Audition, un film féminin, certes
- mais de façon détournée. En effet, ce point
de vue s'exprime avant tout, paradoxalement, par une certaine absence
puisque, cinématographiquement parlant, la quasi-totalité
du film tourne autour du personnage interprété par
Ryo Ishibashi. Cependant, ce n'est que lorsque Aoyama et Asami sont
ensemble à l'écran que la situation du veuf évolue.
Quand Asami se retire de l'image, le film de Miike stagne autour
de l'incapacité (le refus?) de Aoyama à prendre
des décisions par lui-même, ou alors se rend dans des
contrées oniriques qui, d'une certaine façon, semblent
obéir à une volonté "narrative" dictée
par le personnage incarné en douceur - et principalement
hors-champ, donc - par Eihi Shiina.
En réalité, Aoyama représente le spectateur
- ici, de sa propre vie - dans toute son ampleur: depuis l'audition
jusqu'au final du film (au cours duquel le point de vue adopté
par la caméra de Miike devient explicitement celui de son
regard), Aoyama assiste au rêve/cauchemar que devient
cette seconde chance, programmée par quelqu'un d'autre que
lui. Miike s'assimile parfaitement au point de vue de Asami, filmant
l'histoire en obéissant à la volonté de cet
esprit féminin, si doux et si effrayant à la fois.
Décrit de la sorte, on pourrait presque
penser que Audition occupe une place anormale dans la filmographie
de Miike - un peu à la manière de Fudoh et
de son rejet de l'enfance. Mais par le biais de cette soumission
à la relation amoureuse "aveugle", c'est bien une
intégration dans notre société "de couple"
que Aoyama recherche, ainsi qu'au sein de sa propre famille (en
repassant du statut de simple père à celui de mari,
et donc de "père de famille").
Et ceux qui ont vu le film et entendu le "kiri kiri kiri"
de Asami savent que l'héroïne de Audition partage,
avec ses équivalents masculins dans l'oeuvre de Miike, un
attachement pour l'enfance très poussé; et que c'est
sa transition du monde de l'enfance vers celui des adultes (par
le biais de l'intrusion prématurée de ce dernier)
qui a fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui.
Comme quoi, même travesti en femme innocente, Miike reste...
Miike!
Effrayant, traumatisant, Audition
est un film absolument fascinant. Tour à tout sobre et déjanté,
c'est sans doute le film de Miike qui a su susciter l'écho
le plus large auprès d'un public international non-exclusivement
festivalier. Qui a dit que l'horreur était un ghetto? Certainement
pas le réalisateur qui prouve, une fois de plus, que la classification
de ses oeuvres en genres est parfaitement dénuée de
sens.