Her Vengeance
Kit-Ying travaille dans un cabaret à Macau, dans lequel débarquent cinq hommes éméchés qui, sans gêne, s’accaparent des places réservées au premier rang de la revue en cours. Entre la belle et les ivrognes, le ton monte jusqu’à l’échange de claques ; heureusement, le service d’ordre intervient et les perturbateurs s’en retournent à leur errance nocturne. Alors qu’elle rentre chez elle à la fermeture de l’établissement, Kit-Ying est agressée par ceux qu’elle a bafoué ; trainée dans un cimetière et violée à plusieurs reprises, à même la poussière. Une agression qui brise d’autant plus la jeune femme qu’on apprend qu’elle est le fait des meurtriers de son père, et qu’elle lui procure une vilaine MST... Sur les conseils de sa sœur aveugle, Kit-Ying prend le bateau pour Hong Kong pour retrouver Hsiung, propriétaire de boîte de nuit et artiste martial en fauteuil roulant, qui pourrait lui prêter main forte dans l’exécution de sa vengeance...
Nous sommes en 1988 et, à un an près, Her Vengeance aurait pu connaître, sous l’étreinte bienveillante de la Category III [1], les faveurs d’une distribution dans les salles hongkongaises ; en l’état toutefois, cet étonnant rape revenge signé Nam Nai Choi se voir refusé une quelconque classification. Étonnant oui, car en dépit de son pitch universel, Her Vengeance ne s’inscrit pas réellement dans la démarche d’exploitation de ses congénères, gentiment malades et opportunistes, qui rempliront les étals des vendeurs de VCD pirates dans les années à venir. Ainsi lorsque Pauline Wong tombe sous l’infamie brutale de l’odieux Shing Fui On et de ses compères libidineux, Nam Nai Choi n’offre-t-il aucun détail de sa féminité, préférant se concentrer sur l’après de son agression lorsque, meurtrie et à quatre pattes, la jeune femme tente de réunir ses affaires, éparpillées sur le sol du cimetière qui a englouti son innocence. D’emblée, le metteur en scène préfère le sordide impeccable – la mise en scène, jeu réfléchi de bribes, cadrages au ras du sol et d’ambiances nocturnes, est superbe – au simple racolage visuel.
Cette décision construit l’ensemble du métrage, qui n’offrira quasiment aucun prolongement graphique – si l’on excepte un jet d’acide au visage de l’un des violeurs – à son discours nihiliste. La violence de Her Vengeance est avant tout verbale et de situation (voir notamment la "délicatesse" avec laquelle un médecin fait la liste des symptômes de l’héroïne, avant de lui annoncer qu’elle a contracté le SIDA, qui ferait passer n’importe quelle incarnation d’Anthony Wong pour un Saint Homme) ; paradoxalement, elle s’ancre dans le refus de la plupart des protagonistes de s’adonner à la brutalité vengeresse. Si la décision de Kit-Ying est très claire – Nam Nai Choi va jusqu’à teinter intégralement de rouge les instants de la prise de conscience meurtrière de son héroïne -, le discours de ses proches se pare d’un mépris inhabituel dans le genre, chacun l’invitant à encaisser l’agression sans broncher plutôt que de risquer sa vie brisée. Seule sa sœur aveugle – dont on devine d’emblée le funeste destin, les handicapés possédant une durée de vie très limitée dans les films de genre HK – la pousse au crime, y voyant un moyen de renouer, indirectement, avec l’amour de sa vie, qui a perdu ses jambes alors qu’elle perdait l’usage de ses yeux.
Hsiung (fantastique Lam Ching Ying), l’amour en question, est d’ailleurs le personnage par lequel l’imaginaire débridé du Cat III arrive à l’écran dans le final grandiloquent de Her Vengeance, combat en huis clos bardé de pièges meurtriers à base de hameçons et autre tabouret de bar transformé en arbalète, introduit par un montage qui renvoie à l’ensemble des épisodes de l’Agence tous risques. Sauf qu’Hannibal distribue ici les tatanes depuis la maîtrise de son fauteuil roulant (déjà illustrée au travers d’une séquence surréaliste sur le toit d’un immeuble, en wheeling et autres acrobaties aériennes), fantaisie qui garantit, par anticipation, une place de choix au métrage dans les annales d’un nouveau bis HK alors en gestation. Avant de devenir, au travers de fleurons tels The Story of Ricky et Erotic Ghost Story, l’un des premiers héros de l’ultra-permissive Category III, Nam Nai Choi, presque arrivé alors au terme de sa carrière de réalisateur, s’affirmait donc avec Her Vengeance comme l’un de ses sombres hérauts.
Her Vengeance est disponible en VCD et DVD HK, sous-titré anglais, dans la Legendary Collection de Fortune Star, très joliment restauré.
[1] Sous laquelle les film est désormais distribué, dans sa version quasi-intégrale, en vidéo.





