Hong Kong Requiem
Lost in Hong-Kong.
Avec un rythme de production moyen d’une cinquantaine de films par an dans ses années roses, la Nikkatsu se devait de renouveler en permanence les formules éprouvées de ses débuts. Corne d’abondance de l’érotisme à l’écran, le roman porno aura tout tenté pour séduire un public toujours plus avide de coupables visions. Créant moult sous-genres, variant époques et lieux, diversifiant ses thèmes et renouvelant ses égéries ; véritables incarnations de la sensualité cultivée par le studio et de ce rapport particulier du corps à l’écran qu’elle institua.
Septième long-métrage de Masaru Konuma, esthète sensuel qui ne tarderait pas à imposer l’art du shibari aux côtés de la muse Naomi Tani, Hong Kong Requiem est aussi le premier roman porno tourné - en partie - à l’étranger. Production conséquemment plus coûteuse, elle constitue une tentative d’exploiter l’exotisme d’une destination, traduisant un attrait certain pour un tourisme de masse en plein essor. Mais en matière d’exotisme et de curiosités on aurait préféré que l’éditeur Wild Side porte une plus judicieuse attention à la série Rashamen Oman, véritable anomalie culturelle, mettant en scène, l’espace de trois films tournés en 1972 (dont les deux premiers réalisés par Chûsei Sone), la métisse blonde américano-japonaise Sally Mae [1].
Pour autant les relations entre Hong-Kong et la Nikkatsu étaient jusqu’alors loin d’être vierges. L’on sait l’admiration que vouait la Shaw Brothers au vénérable studio, jalousant ses techniciens hors pair. Et l’on se souvient avec nostalgie de leur co-production d’espionnage, confrontant le méchant Jo Shishido à la star maison Jimmy Wang Yu lors d’un piratage James Bond-esque signé Akinori Matsuo avec Asia-Pol (1966) ; sans oublier la contribution essentielle du transfuge Inoue Umetsugu (Hong-Kong Nocturne) dans la modernisation des comédies musicales made in Shaw.
Reprenant le terreau fertile de l’adultère, motif sous-jacent d’une partie du cinéma de Konuma qui se complait à croquer les turpitudes de couples petits-bourgeois, l’auteur de Fleurs et serpents (1974) nous entraîne cette fois à la recherche d’une jeune infidèle (Junko Miyashita), qui décide de s’enfuir avec un collègue de son mari tout juste muté à Hong-Kong afin d’épicer sa vie conjugale. Lorsque le mari trompé (Hirokazu Inoue) apprend la vérité auprès de sa belle-sœur (Setsuko Ogawa), ce dernier décide de s’envoler à sa recherche. Après quelques jours d’errance dans le “port aux parfums”, il fait la connaissance d’un gangster proxénète (Kazuhiko Yakata) qui le sauve d’une agression, mais dont il ne soupçonne les intentions.
En traversant la mer de Chine, Hong Kong Requiem tente un pari risqué, celui de concilier mélodrame, érotisme et accents du film noir traditionnel typique de la Nikkatsu des années 60. Mais le récit qui bifurque, de la quête obsessionnelle à la descente aux enfers sous l’emprise de paradis artificiels, dont la rencontre avec le truand métisse sert de catalyseur, peine à articuler avec conviction ses arborescences. En particulier l’agencement des contraintes du roman porno et son tarif syndical de scènes d’amour avec les péripéties narratives dans lesquelles nous conduit le cinéaste avec indulgence. La rencontre entre le mari et une prostituée, sosie d’Akiko sa femme, étant symptomatique de cet enchaînement de rebondissements poussifs et maladroits ; en dépit d’une Junko Miyashita portant avec une grâce infinie le cheongsam.
Mais la logique narrative n’est pas le seul défaut de cette œuvre mineure, au regard de la filmographie surestimée de Konuma. Alors que traditionnellement les héroïnes, qu’elles soient soumises ou actives, dominent l’écran, les actrices semblent ici reléguées au rang de simple faire valoir, l’auteur préférant miser sur la relation manipulatrice entre Yabuki (le gangster) et le mari pour mieux décrire la déchéance et l’aliénation d’un homme coupé des réalités sociales du monde, en particulier le monde de l’entreprise, dernier rempart le reliant à une vie stable et conformiste. Un comble, lorsque l’on sait que le film bénéficie de la présence de trois des plus grandes stars de l’époque. En effet, Junko Miyashita vient de détrôner la première reine du roman porno Kazuko Shirakawa [2], jeune retraitée s’en étant allée signer un autre contrat, conjugal celui-ci. Alors que le spectateur découvre la gracieuse Setsuko Ogawa, habituellement cantonnée à jouer les geishas traditionnelles (voir notamment la série des Eros Schedule Book), ici dans un personnage contemporain ; sans oublier une courte apparition de la virginale Yûko Katagiri [3], de nouveau dans un rôle de jeune ingénue en péril, qui semble avoir fait partie du voyage pour sa seule accointance intime avec l’auteur [4], tant son destin funeste tient ici lieu de facétie. On aurait acquiescé de la part d’un Yasuharu Hasebe, mais Konuma ne possède ni le rythme, ni le style, pour mettre en scène la violence exubérante du prince des rape movies. Au contraire, là où Konuma excelle c’est bien dans la restitution de la sensualité troublante et de la transformation progressive de ces femmes qui s’abandonnent un temps aux plaisirs charnels, à l’image de son chef d’œuvre La vie secrète de madame Yoshino (1976), sans oublier sa description des rapports troubles de domination/soumission qu’entretiennent masculin et féminin.
Malgré tout Hong Kong Requiem n’est point dépourvu de qualités, plastiques notamment. La photographie douce au modelé parfait de Yoshihiro Yamazaki, restitue de façon lumineuse la splendeur des chairs onctueuses lors des scènes de sexe en intérieurs. L’homme responsable des couleurs éclatantes de La femme du train de nuit (1972) de Noboru Tanaka sert indéniablement la composante érotique tout autant qu’onirique du métrage. Ceci à l’image de la plus belle séquence du film, qui semble avoir été dérobée aux premiers opus sous influence de Tanaka, et qui dans un élan quasi expérimental, montre les divagations du héros sous l’emprise de la drogue. Une scène au surréalisme psychédélique d’une certaine parenté en palindrome - voir le motif de l’horloge - avec Tutti i colori del buio (1972) de Sergio Martino. Néanmoins les pérégrinations du héros dans un Hong-Kong interlope filmé dans un style documentaire s’accordent difficilement avec les éclairages artificiels du studio. Konuma semblant s’être diverti à s’égarer dans la ville fourmillante, des hauteurs de Victoria Peak aux plages bondées en plein été, en passant par la baie parsemée de Jonques. Il s’attarde sur des étals de viande fraîche, un chat crevé gisant au sol, ou les ruelles étroites d’un Kowloon alors véritable souricière du crime ; offrant de la ville une vision inquiétante, certes caricaturale, pour mieux en exploiter l’exotisme oppressant.
A l’image de son corps étranger, désorienté dans la densité topographique anarchique de Hong-Kong, Konuma s’égare, incapable d’unifier les pistes poursuivies par son métrage. S’il offre certes une curiosité à l’amateur de roman porno, il ne parvient, malgré quelques beaux moments de cinéma, à rendre sa présence indispensable à toute vidéothèque non extensible. Et prouve une fois de plus que Konuma, s’il demeure un grand artisan du genre, est loin d’être un auteur à part entière, à l’instar d’un Kumashiro ou d’un Tanaka.
Hong Kong Requiem est prévu en sortie DVD avec sous-titres français le 5 Mai 2010 chez Wild Side, au sein d’une collection intitulée l’Âge d’Or du Roman porno Japonais, et qui comportera 30 titres. A noter que l’ensemble des films de la collection a fait l’objet d’une restauration numérique.
Remerciements à Benjamin Gaessler, Cédric Landemaine et Wild Side.
[1] Née en 1947, cette ancienne chanteuse et mannequin est devenue actrice le temps d’une poignée de films tournés entre 1968 et 1972.
[2] Réputée comme étant la première reine du genre, elle joue dans le tout premier roman porno Le jardin secret des ménagères perverses (1971).
[3] Voir l’hommage parodique qui lui sera rendu dans Dans l’arène du vice (1977).
[4] Le couple vivait alors une relation amoureuse qui s’est concrétisée par un mariage l’année suivante. Voir Sadistic and Masochistic (2000), documentaire consacré à Konuma par Hideo Nakata, son ancien assistant réalisateur.





