Hors du vent
The Bodyguard.
Eiji Okuda était le président de l’édition 2008 de Kinotayo, le festival du film japonais contemporain. Après avoir débuté en tant qu’acteur, se distinguant notamment dans La mort d’un maître du thé de Kei Kumai, il est ensuite passé à la réalisation. Son quatrième film traite de la recherche de l’identité à l’époque de l’adolescence au sein de la communauté japonaise d’origine coréenne [1].
Comme chaque jour, Mariko Iwata prend le bateau pour se rendre au lycée. Elle est importunée par deux petits vauriens et ses deux sacs tombent dans la mer. Un jeune homme, Son-mun Cho, qui s’avère être le chef de ces voyous, se jette dans l’eau pour les récupérer. Pour la dédommager de la perte d’une partition de musique restée dans la mer, Mariko lui demande de devenir son garde du corps. Elle souhaite qu’il la protège des fétichistes des lycéennes en uniforme qui font la sortie des cours. Une bien étrange relation s’instaure entre eux.
De prime abord, j’ai été désarçonné par le comportement des deux principaux protagonistes. Pourquoi se jette-t-il à l’eau ? Pourquoi lui demande-t-elle d’être son garde du corps ? Mais le film gagne en intérêt au fur et à mesure du déroulement de l’histoire. Finalement peu importe que ce qui les relie ne soit pas de l’ordre du rationnel, mais un caprice du destin.
Dans ce film sur l’adolescence, Eiji Okuda aborde une question particulièrement aiguë à cette époque de la vie : la recherche de son identité. Cette question est d’autant plus problématique pour Mariko que du sang coréen coule dans ses veines. Une origine que sa famille essaye de masquer en raison du racisme dont les coréens sont victimes au Japon. Faut-il mettre son doigt à l’intérieur de son bol de riz comme le font les coréens, ou à l’extérieur à l’image des japonais, ce qui revient à défier son père ?
Son ascendance coréenne, Son-mun Cho préfère la dissimuler à Mariko car il craint de provoquer sa fuite. Mais une fois le secret éventé, Mariko découvre un autre monde grâce à lui. Quelle différence entre le repas chez ses parents où aucun mot n’est échangé et celui beaucoup plus coloré et agité de la famille de son garde du corps. Son-mun Cho joue le rôle de réactif à un moment où certaines des certitudes de Mariko vacillent.
Pour sa part, Mariko, dont le rêve est de devenir chanteuse lyrique, lui fait prendre conscience de son absence d’ambition. Dans sa jeunesse, il a bien un jour caressé l’idée de devenir joueur de base-ball, mais la batte offerte par son père a rapidement servi à un autre usage... Il glisse sur la mauvaise pente passant de collecteur d’impayés pour les yakuza à la revente de drogue...
Un sort qu’il partage avec nombre de ses semblables rejetés aux marges de la société japonaise. Les japonais d’origine coréenne, comme les burakumins d’ailleurs, sont sur-représentés dans la pègre relativement à leur poids dans la population. C’est la solution la plus expéditive pour acquérir un pouvoir qui est refusé légalement.
Ce mécanisme n’est pas propre au Japon. On pourra citer en exemple les italo-américains, méprisés et rejetés par l’élite WASP. Le hasard a voulu qu’Eiji Okuda utilise l’Ave Maria de Cavalliera Rusticana [2] comme le morceau répété par la chorale de Mariko. Le spectateur pourra penser à ce moment là aux deux plus célèbres réalisateurs italo-américains, Martin Scorcese et Francis Coppola. Le premier a utilisé cette pièce de musique dans le générique de Raging Bull et le second dans la scène de l’opéra du Parrain 3.
Avec Hors du vent, le réalisateur japonais nous offre avec beaucoup de pudeur et sans fioriture, une belle rencontre entre deux personnes que tout au départ semblait séparer.
Film projeté dans le cadre de la 3ème édition du festival Kinotayo.




