I’ll Never Die Alone
Quatre adolescentes, en transit dans la région de La Plata, découvrent sur le bord d’une route de campagne une jeune femme blessée. Elles lui portent secours, essuyant les coups de feux de ses bourreaux supposés, mais la victime décède sur la route du commissariat le plus proche. Alors qu’elles enregistrent leurs dépositions, la plus jeune des adolescentes comprend que l’un des policiers fait partie des coupables. Ce lieutenant détestable, accompagné de ses partners in crime, rattrape les jeunes femmes pour leur faire subir les même outrages qu’à la défunte.
Il paraît impossible de s’attaquer au schéma classique, et on ne peut plus « exploitatif », du rape revenge sans prendre le risque d’aliéner les spectateurs, à la force d’une dramaturgie si sciemment borderline qu’elle bascule aisément dans le malaise et le rejet. Après tout, le genre établit un rapport de proportion, manifeste auto-suffisant, entre le crime sexuel nécessaire et la violence que celui-ci justifie : il ne peut se créer des héroïnes qu’après les avoir brisées. L’appréciation d’une telle entreprise par les amateurs – le genre ne saurait toucher le grand public – passe donc par un équilibre délicat, dans la mise en scène de la déshumanisation qu’elle exploite et condamne du même artifice, entre conscience, responsabilité et détachement cinématographiques. Évidemment doté d’une bonne dose de la première, Adrián García Bogliano joue entièrement ou presque, avec I’ll Never Die Alone, le jeu du troisième – en ne s’embarrassant que peu de la seconde. Du coup, il n’est pas étonnant de constater, au travers de la toile, combien ce long-métrage du réalisateur argentin divise les cinéphiles marginaux.
Pourtant, I’ll Never Die Alone est à mes yeux d’une cohérence exemplaire dans son dépouillement quasi-dogmatique, monocorde aussi bien dans l’anodin que dans l’horreur – une impression encore renforcée par la platitude d’une bande son post synchronisée, uniformément portée par l’entêtement de la nature environnante. Lorsque Bogliano filme, sans emphase, la découverte de la première victime, il préfère le silence conscient et meurtri de ses protagonistes à l’hystérie de mise d’ordinaire. S’il leur confère ainsi une maturité appréciable, celle-ci prend un visage autrement plus dérangeant lorsqu’elle s’incarne en résignation, au cours du quadruple viol qui porte le métrage. Cette maturité, alors, a tout du nihilisme que véhicule, paradoxalement, la nature omniprésente du film. Celle-ci ne se tait jamais, se fout de l’issue du drame. Les fluides des blessés, les dépouilles des morts et même celles des survivantes, lui reviendront tôt ou tard de toute façon. Bogliano contemple l’abject avec ce même détachement naturaliste, sorte de penchant exploit’ à la pornographie gonzo, déployant longuement une violence sexuelle laide et froide comme la mort, qui s’achève dans le sang, la terre et les vomissures, sans que le film ait daigné tressaillir.
I’ll Never Die Alone ne se contente pas de briser l’innocence : il la pulvérise. A cet instant, il doit beaucoup à ses quatre actrices, dont les carences en jeu servent – trop ? - parfaitement le terne carcan de ses deux premiers actes. Bogliano le sait tant qu’il ne détourne presque jamais son attention de ces jeunes femmes qu’il aime filmer en gros plan, placer en bordure de cadre ; même si, ce faisant, il ne propose jamais d’élargissement à même d’embrasser cette nature neutre, et renforcer l’isolement des victimes. D’ailleurs, le film faillit dès qu’il se détourne de ses actrices, autant que quand il tente d’assumer une cinématographie trop consciente. A chaque fois que la techno de Pastillas y Putas résonne dans le film, censée être contextuelle puisqu’issue de l’auto-radio des bad guys, I’ll Never Die Alone prend des allures cheap plutôt qu’économiquement maîtrisé [1].
C’est d’ailleurs ce même travers qui fragilise le troisième et dernière acte qu’I’ll Never Die Alone partage avec tous ses semblables : la vengeance. Les survivantes doivent alors jouer l’inversion des rapports de force, ce dont elles sont relativement incapables ; tout autant que Bogliano de se défaire intelligemment de l’apparat du documentaliste morbide, en faveur d’une énergie plus subjective. Alors que le film paraissait jusque là naturel, contemplatif au point d’en être repoussant, il devient factice, trop rapide. Car si bon nombre de critiques dénigrent le rythme du film, il y a, souvent, plus d’intelligence dans ses longueurs que dans ses prétendues fulgurances. Comme lorsque l’une des filles reste un long moment à fumer une cigarette dans les WC du commissariat de La Trinidad, après avoir changé son haut maculé du sang de la première victime. Loin d’être gratuite, cette contemplation, dans le contexte d’une déposition signifiée par le martellement léthargique en arrière plan des touches d’un clavier, marque bien le poids administratif d’une mort criminelle ; et donc la seule concession du réalisateur à la notion de responsabilité.
Tout ça pour dire, au risque de paraître amoral, qu’I’ll Never Die Alone est remarquable dans sa façon très Cutting Moments de filmer tels quels l’innocence bafouée, la torture sexuelle et l’instant de mort, mais qu’il l’est beaucoup moins dans son appropriation de l’affirmation vengeresse. Sa rédemption n’est finalement que l’ombre mal proportionnée de sa détestable chute, et c’est certainement cela qui dérange tant ses détracteurs. Ceux-ci se demandent, du coup, si un tel affront était nécessaire ; plutôt que de fantasmer, en marge de tout sens éthique et conformément aux déviances de quiconque s’assied volontairement devant un tel objet, un retour de bâton à la hauteur de sa redoutable humiliation.
Rendons grâce à Oh My Gore ! de se lancer dans la distribution relativement low cost de films de cette indépendance ; d’autant que faible coût ne signifie aucunement faible qualité. J’insiste notamment sur la charte graphique de leur (pour l’instant petite) collection, sublime, qui en remontre à bien des éditeurs plus fortunés.
Pour commander le DVD : rendez-vous sur la boutique de Oh My Gore !, tant qu’à faire !
[1] Si l’on en croit IMDb, le budget du film aurait été d’environ 6 000 dollars !







