Jigoku
Jigoku ("enfer" en japonais) raconte l’effrayante histoire de Shîro, un homme au destin quelque peu funeste...
Tout commence pourtant bien pour le jeune homme : au début du film (après une introduction et un générique déroutants), nous le retrouvons dans la maison de la famille de sa future promise. En effet, les parents de Yukiko viennent de lui accorder sa main. Arrive alors Tamura, un personnage étrange dont il semblerait qu’il ait été courtisan de Yukiko avant Shîro, en vain. Faché par la réussite de son ami (le lien entre les deux personnages ne sera jamais clairement explicité), il tend une rose accompagnée d’une photo déconcertante au père de la demoiselle ; sur celle-ci, on peut voir deux soldats à l’agonie, visiblement en train de se battre...
Tamura propose à Shîro de le raccompagner. Ce dernier accepte mais insiste pour faire un détour, pour on ne sait quelle raison. Sur le chemin, l’incident qui va déclencher la descente en enfer (littérale) du héros : Tamura percute Kyochi, yakuza local en état d’ébriété avancée, mais ne s’arrête pas, en dépit des protestations de son passager. Kyochi meurt de ses blessures, laissant derrière lui sa mère et Yoko, sa compagne, qui jurent de venger la mort du gangster.
Shîro ne parvient pas à garder son secret douloureux, et il raconte l’incident à Yukiko. Il l’incite à prendre un taxi avec lui, et la voiture heurte un poteau au bord de la route : Yukiko meurt sur le coup. Shîro rejoint sa belle-famille pour leur apprendre l’infâme nouvelle. Le père réagit très humainement (trop ?) mais la mère devient immédiatement folle.
Peu de temps après, Shîro reçoit une lettre de son père, lui demandant de venir le rejoindre au chevet de sa mère malade. Celle-ci décède rapidement, puis, c’est au tour de Yoko, qui était venue chercher vengeance, puis de Tamura, puis de Kinuko, la maîtresse de son père ignoble... Les morts (accidentelles ?) n’en finissent plus au contact de Shîro qui se sent maudit, condamné. Mais la vengeance de la mère de Kyochi aura raison de tout ce petit monde, qui s’en retrouvera... en Enfer, où les secrets de chacun seront alors révélés et jugés. Car personne n’est réellement innocent...
Réalisé de façon relativement classique dans sa première moitié (à l’exception du générique et de la séquence d’introduction, donc, plutôt inhabituelles), Jigoku est un film tant halluciné qu’hallucinant sur sa seconde section - à savoir, vous l’aurez compris, la partie qui se déroule dans le véritable enfer. Il est très difficile de décrire l’ambiance cauchemardesque dans laquelle baigne le film de Nobuo Nakagawa (maître du cinéma d’épouvante japonais dont Jigoku est d’ailleurs l’un des seuls films véritablement connus en dehors du Japon). Pour le visuel, pensez à ce tableau de L’Aldila de Lucio Fulci (The Beyond - L’Au-delà), dans lequel David Warbeck finit par se retrouver enfermé. Dépeuplé, terne, poussiéreux, baigné dans une obscurité étouffante... On est bien loin ici d’une vision "romantique" des Enfers. Celui de Nakagawa est impartial, monstrueux et en même temps terriblement humain. Les hommes ne peuvent y cacher la moindre erreur, et tous sont condamnés, au final, à revivre leurs souffrances terrestres - sort bien pire encore que les tortures infligées dans l’outre monde. L’espace de quelques scènes de torture, d’ailleurs, il me semble bien que l’on peut rectifier une erreur historique répandue, et attribuer la paternité du premier film gore non plus à H.G Lewis, mais à Nakagawa, qui offre quelques séquences véritablement extrêmes pour l’époque.
Mais le plus effrayant, dans Jigoku, c’est le regard porté sur les hommes - et sur un homme en général, a priori pur mais amené à se convaincre de sa culpabilité. Nakagawa, par le biais du personnage fort ambigu de Tamura, fait jouer à son "héros" le rôle miroir du Patrick Bateman mis en scène par Bret Easton Ellis dans American Psycho : en le forçant à assumer une responsabilité fausse, il le condamne à la culpabilité aux yeux de tous. Et le supplice de Shîro, bien que non physique, sera bien pire que ceux de tous ses compagnons d’infortune, car il sera créé de toute pièce en Enfer, pour le forcer à faire son choix. La logique est tordue mais imparable, et fait son effet "infernal" dans la tête du spectateur une fois le film terminé : comment ne pas s’imaginer à la place de Shîro, victime d’une bêtise inévitable nommée humanité ?
Aujourd’hui encore, Jigoku n’a rien perdu de sa force, et l’impact de sa structure libre, proche d’un cauchemar abominable dans lequel on ne cesse de se replonger à chaque fois que l’on se rendort, demeure considérable. Ce qui, pour un film d’horreur de plus de quarante ans, n’est pas une mince réussite...
Le film est disponible au Japon en DVD sous-titré anglais dans la collection lancée par Beam (BIBJ-1301). Le master utilisé est abimé, mais l’image en scope demeure tout de même magnifique, et fait très bien ressortir une utilisation des contrastes et des couleurs particulière et propre à Nobuo Nakagawa (comme c’est aussi le cas, pour, entre autres, The Mansion of the Ghost Cat - Borei-Kaibyoyashiki).


