Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Corée du Sud

Judgement

aka Simpan | Corée du Sud | 1999 | Un film de Park Chan-Wuk (Park Chan-wook) | Avec Gi Ju-bong, Go In-bae, Gwon Nam-hee, Park Ji-il, Choi Hak-rak, Myung Soon-mi, Yi Jong-yong, Kim Tae-ryong

Park Chan-Wook que l’on ne présente plus dans ces pages, malgré l’absence à ce jour d’une critique d’Old Boy (on vous assure que c’est pas par élitisme... disons que parfois Sancho aime bien être là où on ne l’attend pas... et vice-versa), n’a pas toujours été sous les feux de la rampe. Ayant débuté en bas de l’échelle de la profession, par un apprentissage sur le tas, ce n’est que suite à sa rencontre avec Kwak Jae-yong (réalisateur de My Sassy Girl) qu’il aura l’occasion de se frotter à la mise en scène. Après deux premiers longs métrages aux succès commerciaux plus que mitigés, il devient entre temps critique de cinéma, il tente de monter le projet Vengeance Is Mine, dont le scénario à la noirceur peu commune rebute la plupart des producteurs. Qu’à cela ne tienne, s’il réduit ses ambitions financières, Park n’en réduit pas pour autant la prétention artistique de son oeuvre, et s’atèle pour la première fois à la réalisation d’un court métrage : Judgement.

S’il nous semble important de revenir sur cette oeuvre méconnue, mais non moins essentielle de la cinématographie de Mr. Vengeance, c’est avant tout pour la sauver d’un oubli que la surmédiatisation du cinéaste, qui vient tout juste de clôturer sa trilogie Vengeance, risque de causer à ce diamant noir. Présenté au Festival International du Court Métrage à Clermont-Ferrand, alors que le réalisateur était encore inconnu, il témoigne des préoccupations du cinéaste, et d’un style déjà affirmé, brillamment décliné par la suite.

Filmé en 35 mm, ce court métrage de 26 minutes nous fait pénétrer dans un huis-clos, situé dans une morgue, et réunissant une famille qui vient enterrer leur fille défigurée, victime de l’effondrement d’un supermarché. Un journaliste filme la scène, alors que l’officier civil se charge des procédures d’usage. Alors que l’employé funéraire s’apprête à assister la famille dans la cérémonie, il croit reconnaître sa fille disparue sept ans plus tôt. Commence alors un troublant jeu macabre visant pour chacun, à s’attribuer la paternité du cadavre, sous les yeux du journaliste et de l’officier gouvernemental.

Fait peu connu des occidentaux, les coréens sont passés maîtres dans l’art du court-métrage, avec pas moins de 300 productions par an. Explorant toutes les formes d’expression et de formats, cet art de la forme et de la concision est un formidable outil, catalyseur de l’énergie et de la créativité des réalisateurs du pays du matin calme. Sur ce terrain privilégié, offrant parfois des débordements stupéfiants - ceux qui suivirent la surprenante leçon d’anatomie de Soyun Zung, vainqueur de la compétition courts de l’Étrange Festival en 2001, s’en souviennent encore -, aucune limite ne semble imposée, ce que Park Chan-wook démontre une fois de plus, substituant aux débordements de violence de ces oeuvres à suivre, un cynisme et un humour macabre, qui n’est pas sans évoquer celui des frères Coen.

Le cinéaste démontre une étonnante maîtrise formelle et narrative. La concision et la percussion de l’enchaînement des plans est parfaitement réglée. Les inserts et gros plans stylisés ponctuant le récit utilisent parfaitement la mise en espace, et parviennent à installer progressivement une tension et un malaise entre les différents personnages. Le film regorge d’idées et d’inventions, comme ce superbe plan elliptique, où une goutte d’eau sortant du robinet se transforme en goutte de sang tombant sur le sol. La photographie contrastée en noir et blanc de Park Hyun-chul sied ici au climat funèbre et à la nature sinistre du sujet, amplifiant progressivement la tension naissante entre les personnages et révélant leur nature humaine.

Park Chan-wook, c’est avant tout un formidable révélateur de la nature humaine. Certes l’outrance de sa mise en scène en incommode certains tout en faisant le bonheur des autres, mais rien n’est ici gratuit, pas plus que dans ses oeuvres suivantes. Il dénonce avec une rare violence la cupidité humaine au travers des motivations vénales de la famille, qui souhaite avant tout toucher la prime d’assurance promise aux victimes de la catastrophe. Il tire à boulets rouges sur le gouvernement qui, en la personne de l’officier - s’affrontant ironiquement avec le journaliste -, ne permet pas que l’on mette en cause le jugement de l’état, et refuse une coûteuse analyse d’ADN. Les médias “vautours” qui filment de façon éhontée la cérémonie mortuaire sont aussi épinglés pour leur exploitation de la douleur humaine. Judgement devient le miroir grossissant d’une société malade, allant jusqu’à vendre ses propres morts pour assouvir ses désirs, qu’ils soient matériels ou sentimentaux.

A cette galerie de sinistres et cupides personnages, s’ajoute une troublante confrontation à la réalité sociale du pays. S’inspirant d’un fait réel [1], Park Chan-wook insère des images de documentaires illustrant de façon crue différentes catastrophes humaines ayant eu lieu en Corée. Cet ajout, confrontant fiction et réalité, ancre le film dans un contexte social, et renforce la portée critique du film. Park Chan-wook reprendra d’ailleurs cette approche, tout autant que le passage de la bichromie à la couleur, dans Never Ending Peace And Love, le segment d’If You Were Me (2003) dénonçant la xénophobie coréenne.

Les raisons qui poussent ces êtres humains à se compromettre aussi vilement, prennent souvent racine chez l’auteur, dans un contexte social particulier. La famille est devenue pauvre suite à l’accident de travail dont le père a été victime. La jeune femme qui croit reconnaître sa mère a été abandonnée car elle souffrait d’une grave maladie, et l’officier gouvernemental craint pour son poste et son avancement. En orchestrant de main de maître ce huis-clos macabre, Park Chan-wook parvient à donner à chaque personnage une fonction sociale et narrative propre ; ne laissant rien au hasard, il distribue les cartes menant à une démonstration implacable lors d’un climax final à l’absurdité comique inoubliable.

Si l’on peut voir dans Judgement l’embryon de sa trilogie Vengeance, on peut surtout y déceler un humour corrosif auquel le réalisateur nous avait peu habitué. Présent comme un contrepoint dans JSA, permettant de désamorcer la cruauté extrême de certaines situations dans Old Boy, cet humour n’avait rarement été aussi acide et sinistre. Depuis les bières cachées dans la chambre froide, jusqu’aux deux pères posant aux côtés du visage défiguré du cadavre afin d’y déceler un trait de parenté, Park Chan-wook assène avec une rare violence une critique de la société contemporaine tout autant qu’il hurle la frustration d’un réalisateur qui refuse tout compromis artistique.

Comme l’était L’Incinérateur de cadavres (1968) de Juraz Herz en son temps, Judgement est un chef d’oeuvre stylisé d’humour noir macabre, au service d’une dénonciation politique, et d’un pessimisme glaçant sur la nature humaine.

Judgement n’est malheureusement disponible que dans l’Ultimate Edition d’Olb Boy (DVD coréen, zone 3, NTSC, chez Starmax Co.) qui est épuisée depuis un bon moment, et qui de toute façon, n’était disponible qu’en pré-commande à un prix avoisinant les 100 euros ! Mais gageons que nos amis de chez Wilde Side en profiteront pour l’inclure lors d’une future et hypothétique anthologie...

[1Il s’agit de la catastrophe du Grand Magasin Sampung à Seocho-dong (Séoul) dont l’éffondrement soudain, le 29 juin 1995, a fait 501 morts et 937 blessés selon un bilan officiel.

- Article paru le mercredi 18 mai 2005

signé Dimitri Ianni

Japon

Taiyo no Kizu

Hong Kong

Big Bullet

Japon

Yellow Kid

Japon

8000 Miles 2

Japon

Tôkyô Zonbi

Japon

Hirokazu Kore-Eda

articles récents

Japon

Dernier caprice

Japon

Fleur pâle

Japon

Godzilla Minus One

Japon

Tuer

Japon

L’Innocence

Japon

Récit d’un propriétaire