Kamen Raidâ : The First
"Let’s Go ! Rider Kick !!"
Force est de constater qu’en France lorsqu’on évoque le sujet des super-héros nippons, un certain a priori s’élève, sous le poids de l’héritage télévisuel de la Génération Dorothée, et des Sentai [1], séries infantilisantes et manichéennes dont Bioman et les Power Rangers furent les dignes représentants. Mais ces séries populaires appartenant au genre Tokusatsu [2], nées en 1975 à la TV japonaise, représentent déjà la décadence d’un genre, dont les japonais sont les maîtres pionniers, contrairement aux idées reçues [3].
L’âge d’or des Tokusatsu (de la fin des années 60 au début des années 80) étant bel et bien révolu, les studios en quête de relancer la machine et raviver l’ “otaku spirit” produisent des long-métrages hommages avec plus ou moins de réussite. Du Godzilla fêtant dignement son cinquantenaire sous la caméra frénétique de Kitamura, au quarantenaire de Gamera, en passant par le virage pris par le super-héros le plus populaire de l’archipel, Ultraman et sa série Ultraman Nexus, tous y vont de leur commémoration. Que voulez-vous, au Japon une franchise ça s’entretient !
Au milieu de cette kyrielle de super-héros au palmarès des plus fournis, se cache Kamen Raidâ, le hopper (homme sauterelle) le plus célèbre de la planète. Peu connu en France si ce n’est des initiés, il jouit d’un véritable culte au Japon, à peine concurrencé par son aîné le mythique Ultraman. Lancée le 4 avril 1971 à la TV nippone, la série connaîtra 98 épisodes, sera parallèlement adaptée en manga, subira plusieurs adaptations au cinéma, d’innombrables spin-off TV et, comme tout succès qui se respecte, deviendra une franchise juteuse. Pour le moment, seuls les américains auront eu la primeur d’une version “sabanisée” [4] sous le titre de Masked Rider.
Si cet étrange humanoïde est l’un des cas les plus intéressants de l’univers des super-héros de l’archipel, il le doit à son géniteur, Shôtarô Ishinomori, l’un des géants historiques du manga, ancien protégé d’Osamu Tezuka, responsable d’une multitude de séries à succès (Kikaidâ, Henshin Ninja Arashi, Inazuman, Robotto Keiji, Secret Task Force Goranger...) ainsi que de la série San Ku Kaï, bien connue dans nos contrées.
Mais si Ishinomori demeure un personnage clé en la matière il le doit, au delà de son imagination débordante à produire super-héros et monstres avec plus d’efficacité qu’une usine Toyota, à l’intelligence du traitement psychologique de ses héros. Dans l’univers manichéen, enfantin et léger ayant cours à l’époque, il va établir le questionnement existentiel chez le super-héros, lui rendant ainsi sa dimension tragique. Avec le personnage de Kamen Raidâ il introduit pour la première fois le concept de Henshin (métamorphose) dans l’univers des super-héros. Cette transformation - souvent à l’aide d’un gadget, la ceinture Typhon pour Kamen Raidâ - qui permet au personnage de passer du stade humain à celui de super-héros, est un concept clé de l’univers Tokusatsu.
En effet, Ishinomori parvient à amplifier le ressort dramatique du genre à travers ses êtres incomplets, mi-homme mi-machine ; alors qu’auparavant, l’origine de la dramaturgie - fort simpliste - se trouvait chez les méchants monstres qui, par leurs actes, engendraient chaos et provocation, auquel le héros, immuable et équilibré, répondait de façon systématique au fil des épisodes. Mais Ishinomori inverse la logique. Le ressort dramatique provient ici de la nature intrinsèquement bâtarde du héros cyborg qui possède une conscience “altérée” due à son origine (voir ci-après). Chez un super-héros comme Kikaidâ (autre chef d’oeuvre du maître) il existe également une véritable dimension existentielle, d’une complexité plus grande encore. Cette tendance au questionnement, qui répond en filigrane à une quête d’identité et la problématique du double, atteindra par ailleurs son paroxysme dans les méditations expérimentales de Tsukamoto.
A l’origine de l’histoire de Kamen Raidâ, se trouve un étudiant en biochimie du nom de Takeshi Hongo, accessoirement motard émérite pour l’écurie Tachibana. Enlevé par l’organisation criminelle prénommée Shocker (les initiales signifiant “Sacred Hegemony Of Cycle Kindred Evolutional Realm”, et dont l’emblème rappelle étrangement l’aiglon Nazi !) qui le transforme en cyborg, et lui faisant au passage subir un lavage de cerveau, méthode brevetée TF1. Mais avant d’y parvenir il sera sauvé à la faveur d’une explosion, par un collègue scientifique (Professeur Midorikawa) travaillant pour l’organisation. Grâce à ses nouveaux pouvoirs, il devient Kamen Raidâ, pour se venger de ce que les Shocker lui ont fait, et protéger l’humanité.
Bien entendu tout ceci ne nous fera pas oublier qu’il s’agit de séries peuplées de monstres caoutchouteux et destinées avant tout à un public ado. Mais pour autant, le charme opère. Que ce soit cette candeur teintée de mélancolie, où les fermetures éclairs apparentes et l’écharpe rouge du héros, ou encore l’unicité des monstres et leur grande variété, sans oublier les pantalons moulants et les casques bariolés aux antennes proéminentes, la touche romantique en sus, tous ces éléments uniques confèrent son statut culte à cette série.
Les production Ishinomori associées à la Toei, voyant arriver à grands pas les 35èmes bougies de la sauterelle, se sont mis en tête de dépoussiérer la franchise et la mettre au goût du jour. Comme l’indique le titre Kamen Raidâ : The First, se veut un retour aux origines, mais pas uniquement. Ceci pour deux raisons : primo, l’époque n’est plus à l’optimisme béat, secondo, le réalisateur n’est autre que Takao Nagaishi, grand spécialiste en héros masqués [5].
Si les otakus de la sauterelle avaient motif à s’inquiéter, le spectateur lambda pouvait lui, espérer passer un agréable moment devant un Tokusatsu nouvelle vague. En orientant clairement le film vers une cible adulte, Nagaishi prend le parti du dorama au détriment de l’action. Certes le film est émaillé de cascades à motos et autres combats - la post-prod a dû en baver pour effecer tous les câbles de l’image ! - à base de rider kick, rider chop, et même le fameux double kick, mais l’essentiel du film est axé sur le développement d’un triumvirat amoureux, s’éloignant en cela de la trame originale du premier épisode.
En effet, La jeune journaliste Asuka (Rena Komine) qui interviewe notre jeune étudiant (Kikawada Masaya) et future Hopper est promise à Yano Katsuhiko (Takano Hassei) son jeune collègue, mais ne semble pas insensible à la gentillesse et au charme de Hongo. La scène où Asuka et Hongo s’extasient béatement sur la beauté des formes d’un échantillon d’eau cristallisée semble tout droit sorti d’un J-dorama de bas étage, mais la scène aura pourtant son importance. Comme un certain nombre d’autres éléments et personnages du films d’ailleurs, qui réservent quelques surprises. Le scénario est suffisamment dense et travaillé pour retenir le spectateur en mal de baston.
Même si l’on retrouve de multiples éléments et clins d’oeils à la série originale, dont l’apparition culte et en images numériques du fameux Shinigami Hakase (aka Docteur Shinigami, à la tête du Shocker) incarné par le regrété Hideo Amamoto et sa légendaire perruque argentée, ici affublé d’un costume Dracula 60’s, The First s’éloigne sensiblement de l’original par son côté sombre et mélancolique. Le cinéaste insistant sur la dimension tragique et la solitude du héros introverti - il ne peut réellement avoir de contacts avec les humains au risque de les blesser -, faisant de lui un parfait anti-héros en quête de rédemption. Quant à son rival, Ichimonji Hayato à la personnalité expansive - le seul personnage à avoir réellement subi une réécriture complète par rapport à l’original - ayant subi à peu près le même sort, se retrouve tiraillé entre son désir de tuer Hongo et sa volonté de séduire Asuka. Sans parler du couple de malades au stade terminal, Mitamura/Harada, constituant une sous-intrigue qui se résoudra dans un final tragique. Vous me direz que tout cela n’invite pas forcément à la fête certes, d’autant que la photographie très sombre et réussie lors des scènes nocturnes amplifie encore l’ambiance lugubre du film. Et ce n’est pas la BO “Bright ! our Future” signée du boys band Da Pump qui fera illusion.
Pour autant on a quand même droit à quelques scènes d’action réussies mais sans grands éclats quant aux combats, ainsi qu’à de jolis stunts permettant de faire admirer le modèle Honda dernier cri. En ce qui concerne les kaijin (méchants monstres), rien de très folichon si ce n’est le Spider qui permet à Nagaishi d’injecter un brin d’excentricité lors d’une scène comique où le conducteur d’un taxi (en réalité le Shocker Spider) réprimande son client de ses moindres gestes qui l’importunent, tel qu’éternuer ou croiser ses jambes, en lui vociférant dessus jusqu’à ce que ce dernier veuille quitter le véhicule, avant de le trucider.
The First résonne donc parfaitement avec son époque, autant dans le casting des deux héros très minots branchés, que dans leurs tenues lisses et chromées, sans oublier les véhicules de circonstance. Le scénario paraîtra néanmoins assez touffu pour qui n’a aucune référence de la série, émaillé de quelques incohérences dont une partie trouve une résolution logique dans un final un peu hâtif, laissant présager d’une probable suite. Ne cherchez point de performances d’acteurs ni d’effets spéciaux délirants, on est plus proche des standards du téléfilm disposant d’un budget moyen, mais ô combien loin des équivalents Étatsuniens.
Avec Kamen Raidâ : The First, Takao Nagaishi réussit néanmoins le pari de conjuguer hommage à la série d’origine, autant qu’oeuvre personnelle ancrant le métrage dans un romantisme mélancolique en syntonie avec son temps. Les fans de la série y trouveront probablement à redire, alors que le spectateur curieux gouttera un moment plaisant en découvrant une nouvelle facette de l’immense variété de la pop culture nipponne. Et pour ceux qui aiment les deux roues, les masques, les écharpes rouges, et veulent voir la vie en rose... on ne saurait trop leur recommander de se diriger vers une autre série culte, la bien nommée Kekkô Kamen !
Kamen Raidâ Fan Site (en anglais)
Portail francophone sur les Tokusatsu
Disponible en DVD Japon chez Toei Video en édition simple et édition collector (aucun sous-titres). Une sortie zone 1 est prévue en février 2007 (sous-titres anglais disponibles) chez Tokyo Shock (Media Blasters).
[1] Mot résultant de l’union de sen (combat) et tai (escadron), désignant les séries mettant en scène des escadrons de combattants tels que les Bioman, Power Rangers, Battle Fever J...
[2] Ce terme (contraction de “tokubetsu satsuei”) qui signifie effets-spéciaux, désigne habituellement des films en images réelles ou des séries TV montrant des Kaijû (monstres tels que Godzilla ou Gamera), des Henshin (super-héros subissant une transformation tel que Kamen Raidâ, Kikaidâ), ainsi que des Sentai. On y trouve également des sous-genres tels que les Robotto (série avec des robots telle Robocon, Tetsujin 28...) ou les Metaru (héros de métal type Galaxy Wolf Juspion, Space Sheriff Gavan).
[3] Pour plus d’explications, se reporter aux dossiers concoctés par Julien Sévéon, Super-héros nippons Part 1 & 2, parus dans la revue Mad-Asia N°2 et N°3.
[4] Affreuse maladie tirant son nom de l’homme d’affaire Haïm Saban, grand manitou du générique dans les années 80, qui sévit aux Etat-Unis et dont les symptômes sont une propension à produire des séries Sentai achetées aux Japon, en les expurgeant de leur particularismes culturels, pour en faire des produits insipides propres à alimenter les hordes de bambins de l’oncle Sam en temps de cerveau (humain ?) disponible. Un prophète en somme !
[5] Réalisateur spécialiste du genre Tokusatsu (il a notamment réalisé certains épisodes de la série Kamen Rider Kabuto (2006)) il est aussi le responsable de la série Rapeman (on vous laisse deviner de quel genre de super-héros il s’agit !)






