Kamikaze Girls
Momoko aurait tant aimé naître en France au XVIIIème siècle, jouir de l’insouciance du Rococo dont s’inspire sa Lolita-attitude... Seulement voilà, elle est née au Japon près de Kobe, sa mère les a quittés quand elle était petite, et son père, petit voyou spécialisé dans le négoce de contrefaçons de Versace – les « Versach » - est contraint de quitter la ville, suite à une double contrefaçon de génie fusionnant Versace et Universal Studios Japan... La voici donc coincée dans le Kantô du XXIème siècle, dans le petit village de Shimotsuma chez sa grand-mère, où elle s’efforce de laisser la vie couler sans lui offrir de prise, autant que de n’avoir aucun ami. En fait, Momoko ne vit que dans la perspective d’acquérir de nouvelles robes chez Baby, The Stars Shine Bright, LA boutique Lolita de Tokyo [1], qu’il lui faut pourtant plusieurs heures et autant de trains pour rejoindre. Désireuse de gagner de l’argent autrement qu’en embobinant son père à l’aide de récits abracadabrants de camarades de classe dans le besoin, Momoko publie une petite annonce dans le journal local pour écouler leur stock de Versach. Une seule personne est emballée par la proposition : Ichiko, Yankî [2] et membre des Ponytails, un Bôsôzoku [3] féminin, qui, au guidon de son imposant scooter rose, impose son amitié au rythme de rendez-vous forcés, crachats intempestifs et autres coups de boule...
Étonnante réussite que la déclaration d’amour aux contre-cultures et à l’amitié incarnée par Kamikaze Girls. En puisant dans la richesse visuelle de deux univers que tout oppose, Tetsuya Nakashima s’affranchit miraculeusement d’une hystérie simplement kawai, pour proposer un divertissement débridé d’un charme incroyable. Avec une mise en scène survoltée qui s’appuie sur l’incarnation, live et animée, des univers fantasmés dans lesquels sont volontairement enfermées ses héroïnes, Nakashima réussit à redorer le blason de singularités quasi-asociales.
Car tout le métrage est contaminé par les fantasmes de Momoko et Ichiko, par leur perception déformée du monde. L’univers de Momoko est haut en couleurs et placé sous le signe de l’exagération (le tableau qu’elle livre de son enfance est saisissant), de la douceur et de la sucrerie, tandis que celui d’Ichiko, plus revêche, se construit autour de séquences animées par le Studio 4°C, où les Yankî deviennent de véritables monstres sanguinaires. Le cœur de Kamikaze Girls se situe dans l’improbable collision de ces deux perceptions, au travers de l’amitié qui se noue entre les deux filles, grâce à l’insistance brutale d’Ichiko, bien décidée à venir à bout de la désinvolture de Momoko. Une réunion rendue possible par le besoin d’Ichiko d’exprimer, par le biais de broderies sur sa Kamikaze Suit, sa gratitude envers sa chef de bande sur le départ (Eiko Koike) ; un travail qu’elle souhaite confier à un brodeur légendaire et introuvable, et que seule Momoko s’avèrera capable de réaliser.
L’intelligence de Kamikaze Girls est de puiser dans l’opposition de la Lolita et de la Yankî matière à les aider à trouver toutes deux une place dans la société, à s’intégrer non pas en dépit mais justement grâce à leur singularité. A clamer l’importance de la différence, d’une certaine façon, tant qu’elle est réfléchie, qu’elle est positive et non simplement en opposition. Au delà de la mise en scène enlevée et de personnages iconoclastes (fantastique "Unicorn" Ryuji), ce sont bien sûr les actrices qui rendent possible cette déclaration.
Si tant est que l’on ne soit pas allergique à la mode nippone, il est difficile de ne pas craquer pour les deux stars. Anna Tsuchiya, dans son premier rôle au cinéma, confirme son étonnante ressemblance à Nanase Aikawa, et son surjeu d’une bikeuse en froid avec la violence aveugle est délicieux, même si sa vulgarité forcée pourra exaspérer les plus rigides. Quant à Kyoko Fukada, elle retranscrit aussi bien la vacuité désintéressée avec laquelle elle glisse en marge de ses contemporains, que sa transformation fabriquée en Yankî lors de la conclusion du film, facile et satisfaisante à la fois. On regrettera juste, au terme de ce délirant voyage fashion, que ne soit pas plus exploitée la carrière éclair de mannequin Lolita d’Ichiko, la seule image d’Anna Tsuchiya glanée étant magnifique, somme de deux féminités rebelles et infantiles, transcendées avec humour et affection par Tetsuya Nakashima.
Kamikaze Girls est disponible en DVD un peu partout - et même chez nous, grâce à Kaze.
[1] Authentique chaîne de vêtements spécialisée dans le style Sweet Lolita, créée en 1988 par Akinori et Fumiyo Isobe. Novala Takemoto, qui a écrit le roman à l’origine du film, est aussi designer et a créé une ligne de vêtements pour la chaîne. Preuve du succès d’une certaine exubérance nippone à l’étranger, la boutique BTSSB ouverte à Paris en 2006 (cf. http://babyparis.blog99.fc2.com/).
[2] Terme désignant au Japon, depuis la fin des années 70, les délinquants juvéniles.
[3] Terme japonais désignant les gangs de motards.






