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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2014 | Rencontres

Kiyoshi Kurosawa

"Il faut toujours trouver un moyen de faire intervenir au présent [les] traces du passé."

Kiyoshi Kurosawa était à Deauville pour la présentation de Real hors-compétition, en amont de sa sortie sur nos écrans ce mercredi 26 mars. L’occasion d’évoquer rapidement à la fois le film, et quelques caractéristiques plus globales du cinéma de son réalisateur. Il est recommandé de lire cet entretien après avoir vu Real, pour ne pas gâcher la découverte !

Sancho : Qu’est-ce qui vous a décidé à adapter le roman à l’origine de Real ?

Kiyoshi Kurosawa : A l’origine, c’est mon producteur qui m’a amené le projet. Il m’a dit "écoute j’ai lu un roman [1], un roman assez étrange, est-ce que ça t’intéresserait ?" Donc je l’ai lu ; le roman est extrêmement littéraire, l’intrigue est complexe, il y a des zones un peu confuses et je me suis dit que l’adapter à l’écran allait certainement être une tâche difficile. Mais par contre l’idée, le thème du film, c’est-à-dire pénétrer l’esprit de quelqu’un d’autre et redécouvrir des pans de son passé qu’on avait oubliés ou qui étaient restés enfouis, ça m’intéressait beaucoup, et je me suis dit voilà, ça ne sera peut-être pas facile mais je vais essayer.

Avez-vous dû retravailler le matériau d’origine pour vous l’approprier ? Le plésiosaure, par exemple, était-il présent de la même façon dans le roman qu’à l’écran ?

Dans le roman, le plésiosaure n’apparaît pas – enfin pas de cette manière, il apparaît de façon très symbolique. On le voit par exemple sous la forme d’une petite figurine qui est posée à l’intérieur de l’appartement, ou on aperçoit son ombre dans la mer, mais sa présence est vraiment très discrète. Mais il n’y a pas que ça à vrai dire... Du roman original, je pense qu’on a gardé un tiers, et que les deux tiers restants ont vraiment été réarrangés pour le film. Le déroulé de base, l’idée de départ sont les mêmes, mais par contre dans les détails je pense qu’il y a au moins deux tiers qui sont propres à l’adaptation à l’écran.

J’ai eu l’impression de voir deux films en un : le premier presque l’un de vos films d’épouvante, assez classique, avec ses projections, sa contamination du réel... et puis le second où l’on change de point de vue ; presque le même film mais d’un point de vue plus adouci, moins effrayant, qui, même si on reconnait dans la structure et dans les mécanismes de projection, justement, les traces de votre cinéma, donne l’impression, peut-être à cause du point de vue féminin, de le repackager complètement différemment...

Si vous avez trouvé que la seconde partie était plus douce, plus chaude que la première, notamment parce qu’elle est vécue au travers du regard d’une femme, j’en suis très heureux. Effectivement la construction est celle-là. La première partie est vue à travers le regard de l’homme. Il s’avère que cette partie n’est pas la réalité. Et puis la seconde partie est vue à travers le personnage féminin, puisque c’est elle qui en devient l’héroïne, et là on comprend que c’est ça qui est réel. Pour moi cette différenciation était importante. Dans le roman c’était beaucoup plus déstructuré. Il y avait des allées et venues, c’était difficile de comprendre ce qui était réel et ce qui ne l’était pas. Il fallait selon moi clarifier un peu les choses, et faire une construction beaucoup plus linéaire. Du coup, ce que l’homme voit, effectivement, n’étant pas réel, ce que la femme voit devient donc le réel. Elle est motivée par une seule chose, c’est par son amour pour lui. La seconde partie est clairement, beaucoup plus que la première, une histoire d’amour, c’est à dire que c’est vraiment là que l’histoire d’amour prend tout son sens et toute sa place. Dans la première partie elle est beaucoup plus alambiquée, les choses sont plus compliquées, plus difficiles à comprendre, alors que dans la seconde partie l’héroïne n’est vraiment motivée que par ça. Toutes ses attitudes, toute sa motivation, n’expriment que pour son amour pour Koichi. C’est ce qui fait que le film peut se terminer sur une note d’espoir. C’est peut-être pour ça que l’on ressent un vraie différence entre les deux parties.

Dans les deux parties, comme dans beaucoup de vos films, d’autant plus à connotation fantastique, il y a cette idée de la rémanence, de la perception, d’un souvenir, d’une trace, de quelqu’un ou quelque chose, qui semble motiver votre cinéma.

Ce n’est que mon opinion mais... Dans un livre par exemple, c’est beaucoup plus simple de faire des retours en arrière, de parler du passé... la gymnastique est beaucoup plus évidente dans la littérature que dans le cinéma. Parce que pour moi le cinéma est un média qui, normalement, va toujours de l’avant. Il doit y avoir un mouvement vers l’avenir, vers le futur. Donc, quand bien même je veux faire ressurgir le passé, il faut que je trouve des formes d’expression qui permettent que le héros ne soit pas juste plongé dans ses pensées, qu’on ait un flashback et que l’on parle du passé, il faut toujours trouver un moyen de faire intervenir au présent ces traces du passé que vous évoquez. Alors parfois ça prend des biais un peu curieux, forcément un peu surnaturels, mais pour moi c’est la seule façon de faire intervenir le passé de façon concrète dans le présent, pour que tout débouche sur l’avenir. Il ne faut vraiment pas perdre ce fil, à mon sens, d’aller toujours de l’avant.

Est-ce que ce style, cette efficacité dans la représentation, sont nées de vos expériences de travail sur des films de genre, au sein de contraintes très spécifiques comme celles des v-cinema ?

Je pense que l’on peut tout à fait dire ça, parce que le fait d’avoir tourné dans du v-cinema, avec toutes ces contraintes, m’a appris je pense de façon empirique ce que c’était que la contrainte de faire un film. Une des premières contraintes de ces films de genre, c’est que leur durée est de 90 minutes, et on ne peut pas en sortir. Que l’on doive évoquer dix heures ou dix ans, finalement il faut que tout soit condensé, et que tout rentre dans ces 90 minutes. Donc je pense que ça permet d’être créatif, de développer en effet ces stratégies qui permettent d’aller à l’efficacité et à l’essentiel, et je pense que c’est cet empirisme-là qui a développé cette façon de faire chez moi aujourd’hui.

Le v-cinema n’existe plus sous la même forme qu’autrefois... Est-ce que ses contraintes vous manquent aujourd’hui ?

Oui, je pense que ça me manque effectivement, mais je m’interdis d’être nostalgique, donc j’évite de me sentir trop nostalgique de cette période là. Par contre je pense que le fait d’avoir un cadre, et de devoir développer sa créativité au sein de ce cadre, constitue une expérience très importante qui continue de m’être utile aujourd’hui, et je trouve assez dommage d’ailleurs que les jeunes réalisateurs n’aient pas ce lieu de mise à l’épreuve. Je crois qu’il y a des instants, quand on travaille avec ce genre de contraintes, où l’on comprend vraiment ce que c’est que de faire du cinéma, ce que c’est que de faire un film, et je pense que ça leur servirait beaucoup. Donc je ne le regrette pas, mais en tout cas oui, j’y repense souvent.

Propos recueillis à Deauville le samedi 8 mars 2014.
Remerciements à Matilde Incerti, ainsi qu’à Léa Le Dimna pour la traduction.

[1A Perfect Day for Plesiosaur, de Rokuro Inui.

- Article paru le mercredi 26 mars 2014

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