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Japon | Rencontres

Kiyoshi Kurosawa

"C’était une façon d’évoquer le monde vu de cette petite unité qu’est la famille."

Lorsque nous l’avons rencontré à Paris, Kiyoshi Kurosawa nous a bien sûr parlé de son dernier film, le très réussi Tokyo Sonata, et de ce qu’il a voulu dire à propos de la société japonaise, mais aussi de ce dont il aurait souhaité parler en plus, en particulier du fils aîné. Ce dernier a fait un choix bien singulier pour un japonais...

Est-ce que la personne du frère aîné symbolise la génération perdue ?

La génération perdue, je ne sais pas bien à quelle période elle correspond. Je ne pense pas qu’il en soit un représentant. Il appartient plutôt à la génération d’aujourd’hui. Ce personnage m’intéressait beaucoup et j’avais écrit beaucoup plus sur lui que ce que l’on voit dans le film. Mais plus j’écrivais et plus je sentais que je m’éloignais du cadre de cette famille dans lequel je tenais à rester. Le fils aîné se trouve dans une situation telle, que je n’étais pas sûr qu’il réintègre la famille. Or dans l’histoire que je souhaitais raconter, les membres de la famille sont de nouveau réunis à la fin.

Je me suis attaché à ce personnage pour deux raisons. D’une part, il est représentatif de ces jeunes japonais qui étouffent à l’intérieur du Japon. Ils voudraient sortir de ce carcan mais ne savent pas comment. J’ai cherché l’endroit diamétralement opposé à la vie dans le cadre étroit d’une famille. Et c’est le champ de bataille. Bien sûr, il ne peut pas s’enrôler dans l’armée américaine, mais c’est une façon radicale de voir le Japon de l’extérieur. Malheureusement, je pense que s’il était possible de s’engager dans l’armée des Etats-Unis ou que l’armée japonaise était engagée sur le champ de bataille, beaucoup de jeunes japonais seraient volontaires.

L’autre raison - et il l’écrit d’ailleurs dans une lettre - c’est qu’il s’agit aussi d’une façon de voir l’Amérique de près. Bien sûr, il y a beaucoup d’informations à propos de l’Amérique au Japon, mais finalement on ne sait pas. C’est en allant sur le champ de bataille qu’il comprend enfin que l’Amérique n’avait pas totalement raison. C’est un peu ironique d’aller aussi loin pour le savoir, mais il devait voir sur le terrain la vérité de cet engagement américain en Irak. C’est pour lui l’unique solution de voir l’Amérique telle qu’elle est, et non pas telle qu’est représentée au Japon.

Comment le film a-t-il été accueilli au Japon ?

Beaucoup de personnes m’ont reproché la fin du film et pensent que je me suis arrêté à mi-chemin. Mais je ne voulais une fin ni trop dramatique, ni trop heureuse. Je souhaitais finir sur une note d’espoir pour cette famille.

Que pensez-vous du fait qu’il s’agit de l’un de vos films les plus ancrés dans la réalité, mais aussi le plus effrayant, si l’on s’attache à la descente aux enfers de la famille ?

Je suis un peu surpris que vous qualifiez mon film d’effrayant car, s’il est vrai que la famille éclate, c’est grâce à cet éclatement que quelque chose devient possible. Le film aurait été plus effrayant si cette désintégration avait été irrémédiable. Je pense que la partie effrayante est assez brève. L’histoire ne l’est pas, car elle débouche sur une transformation et un espoir.

Je reconnais cependant que l’ombre de l’absence du frère plane sur la fin du film. Et lui sur le champ de bataille, il a eu des expériences terrifiantes, il a sans doute tué des gens.

Etait-ce important pour vous d’introduire l’art comme une sorte d’espoir à la fin du film ?

Cette question m’a souvent été posée. Ce n’est pas l’art qui va sauver ni le film, ni le monde, c’est la force d’aller jusqu’au bout d’une passion. C’est quelque chose qui exclut le gain : on ne fait pas cela pour l’argent ou l’efficacité. En allant au bout de sa passion, on se renforce et cela a de l’influence non seulement sur soi, mais aussi sur les personnes autour de nous. C’est grâce à cela qu’un petit espoir peut naître.

J’ai remarqué qu’il y avait une abondance de lignes dans votre film, même dans la maison. Qu’avez-vous voulu faire symboliquement ?

Cette ligne est dessinée dans la chambre des deux fils. Mon intention était d’exprimer la relation au monde. Le fait qu’il existe une frontière veut dire qu’il existe quelque chose au-delà. C’est une façon de parler du monde extérieur. Je crois qu’une famille est déjà un petit monde. S’il y a une kokkyoo [1], c’est pour montrer leur désir de voir le monde. Au Japon, dans la famille on est soumis à l’autorité du père. C’est aussi pour évoquer cette soumission du monde aux Etats-Unis par exemple. C’était une façon d’évoquer le monde, vu de cette petite unité qu’est la famille.

Remerciements à Matilde Incerti et Audrey Tazière. Photos : Kizushii
Traduction : Catherine Cadou
Interview réalisée en compagnie de journalistes de cinémasie, Planète Japon et Ovni.

[1Au Japon, une frontière est uniquement une séparation avec un autre pays - NDLT.

- Article paru le vendredi 6 mars 2009

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