Koroshi
Pressions de la société...
Hamazaki, salaryman fraîchement au chômage, cache sa situation à sa femme en se rendant sur un parking dans une petite bourgade voisine ; là, il reste seul au volant de sa voiture, tuant le temps en observant les rares clients d’un pachinko perdu au beau milieu des décors enneigés du Japon septentrional. Au bout d’un certain temps, il s’y adonne lui-même. Cette situation qui le contraint au mensonge, devient de plus en plus difficile. Mais un jour, un homme mystérieux lui propose cinq millions de Yens pour assassiner un autre homme, comme lui sans emploi. Hamazaki hésite, puis finit par accepter non sans une réelle appréhension...
Si Masahiro Kobayashi est aujourd’hui à la tête d’une filmographie plutôt éclectique, composée de huit long-métrages réalisés entre 1997 et 2004, il a su cependant se démarquer très rapidement en se créant un style très particulier, qui permet aujourd’hui de reconnaître l’une de ses mise en scène dès les premières images. En fait, il lui aura fallu à peine trois films pour être reconnu sur le plan international comme un véritable auteur, lui qui commence sa carrière cinématographique onze ans avant son premier film Closing Time, en écrivant des scénarios pour la télévision et de nombreux Pinku. Son second long-métrage, Bootleg Film (cf. article), road-movie relativement statique à la fois cynique et désenchanté, pose les bases de son univers si particulier... Si Kobayashi aime faire évoluer ses personnages dans de grands espaces enneigés, c’est peut-être pour mieux faire ressentir leur isolement par rapport à la société ; une société fantomatique, déshumanisée, dans laquelle l’autre n’existe que lorsqu’il y a contact. Contact le plus souvent forcé, qui passe quasi-inévitablement par la violence, physique et/ou psychologique.
Hamazaki ment, et s’il est acculé au mensonge, ce n’est pas par plaisir ni par perversité maladive... A vrai dire, Hamazaki ne peut avouer à sa femme sa situation, le poids de la société étant trop écrasant, avouer sa situation serait comparable à la pire des humiliations.
Alors Hamazaki ment, et continue de faire croire qu’il travaille, se verse un salaire chaque mois, et envoie de l’argent de poche à sa fille qui suit ses études aux Etats-Unis, comme si de rien n’était... Cet engrenage dans le mensonge devient rapidement une lancinante routine, minant lentement et inexorablement notre homme qui erre tel un fantôme, se déshumanisant peu à peu en entrant dans un état de désoeuvrement intense ; le constat est sans appel, Hamazaki est à nouveau dans un schéma de routine, un train-train quotidien qu’il s’est lui-même fabriqué, comme s’il ne pouvait se sortir des codes établis par la société... Puis un jour, cette routine est bouleversée, renversée violemment tel un jeu de quilles, percutant de plein fouet un homme qui va devoir faire face à lui-même, à sa conscience, à ses peurs... Il suffit de sauter le pas. C’est simple ; tirer à bout portant dans le cou de la victime, ne pas croiser son regard, s’enfuir en courrant. Hamazaki accepte, et élimine son "premier contrat", un homme qui pourrait être lui : il ne s’agit que de ça ? Pas si terrible finalement. Hamazaki prend peu à peu du plaisir, se sent vivant à nouveau, a un but. Revigoré, il reprend goût à la vie, à l’amour, et aux petits plaisirs du quotidien... Hamazaki aime ce nouveau job, et réclame de nouveaux contrats au commanditaire, quitte à travailler pour moins cher. Cette addiction à la mort d’autrui, cette excitation que lui procure ce danger permanent lui permet de se sentir vivant, surpuissant... libre.
Le cynisme dont fait preuve Kobayashi dans Koroshi, est d’une puissance rare ; son regard affûté sur la société nippone et sur ses congénères est sans la moindre concession. Son personnage principal, s’il endosse le costume du tueur, est malgré les apparences l’élément le plus faible du trio qu’il constitue avec sa femme et l’homme mystérieux. Sans détour, Kobayashi se penche sur les tréfonds de l’âme humaine, décortiquant les usages d’une société qui mesure la valeur d’un homme à l’argent qu’il apporte dans son foyer [1]...
Eoliennes à perte de vue au beau milieu de paysages enneigés sans fin, vent glacial qui ne cesse de souffler, société déshumanisée, villages désertés, cadrages et lumière travaillés au millimètre sont autant d’éléments qui font désormais partie de l’univers cinématographique de Masahiro Kobayashi qui avec Koroshi signe une sorte de polar surréaliste, couplé à une critique cinglante de l’être humain, et de ses motivations. Onirique, hors du temps, Koroshi est un film différent qui ne ressemble à aucun autre ; l’utilisation d’un son post-synchronisé lui confère cet aspect irréaliste, déposant sur le lancinant souffle glacial du vent ces voix humaines, désincarnant presque les personnages, allant jusqu’à donner aux dialogues des allures de pensées arrachées à leurs esprits...
Influencé par le cinéma en général et plus particulièrement par toute une période du cinéma hexagonal, Kobayashi glisse ci et là quelques éléments qui tiennent à la fois de l’hommage et du clin d’œil, du sempiternel générique en français, aux vidéos que regarde Hamazaki (L’Armée des Ombres de Jean-Pierre Melville et Le Trou de Jacques Becker)...
Servi par l’interprétation sans faille de ses trois comédiens principaux (Ryo Ishibashi, Ken Ogata et Nene Ôtsuka), Masahiro Kobayashi donne naissance à un chef-d’œuvre de noirceur, un film sans compromis aux allures d’ultime poème sur l’être humain et ses aspirations, qui égratigne au passage la pression qu’exerce la société sur chacun -du mariage en passant par les épreuves obligatoires de la vie professionnelle. Koroshi s’impose en un film intensément mature dont il est difficile de ressortir indemne.
DVD (Japon) | Pioneer | NTSC - Zone 2 | Format : 1:1:66 - 16/9 | Images : Sublimes. | Son : Très bon mono. | Suppléments : Discussion entre Masahiro Kobayashi et Ryo Ishibashi (28’), interviews de Nene Ôtsuka (12’) et Ken Ogata (13’), trailer du film, ainsi qu’un livret de 4 pages.
Ce DVD ne comporte pas le moindre sous-titre.
Existe également en VHS (NTSC) chez Museum.
[1] Lire à ce propos l’excellent Homo Japonicus de Muriel Jolivet.





