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Japon

Kuroneko

aka 藪の中の黒猫 (Yabu no naka no kuroneko | Japon | 1968 | Un film de Kaneto Shindo | Avec Nakamura Kichiemon II, Nobuko Otowa, Kiwako Taichi,
Kei Satō, Taiji Tonoyama, Rokkō Toura, Hideo Kanze

La féline.

Deux paysannes, une femme et sa belle fille, sont violées, tuées et brûlées par un groupe de samouraïs errants. Un chat noir leur permet de revenir sur terre sous la forme de fantômes, qui vont se venger de leur sort en assassinant tous les samouraïs passant par la porte Rajomon. Jusqu’au jour où leur victime désignée est le fils de la femme, revenu de la guerre et devenu un samouraï après s’être distingué au combat.

Kaneto Shindo capte l’attention du spectateur dès le générique, installant immédiatement une atmosphère fantastique et mortifère. Des bambous se balançant dans le vent sur fond de tambours martiaux suggèrent la présence du mal. Il est incarné par des samouraïs, qui émergent de la lisière de la forêt pour commettre leurs méfaits. Un peu plus tard, leurs visages filmés en gros plan les montre se repaissant de nourriture, mais aussi du viol des deux femmes, qui seront ensuite suppliciées. Cette séquence choc et sans parole – je pense à Il était une fois la révolution – n’aurait pas été reniée par Sergio Leone, amateur bien connu du cinéma japonais.

A propos d’influence, la scène où l’un des fantômes s’envole dans les bambous pour échapper à la lame d’un samouraï conduit tout droit à Touch of zen de King Hu et son célèbre affrontement aérien. Son directeur de la photographie de L’hirondelle d’or, Nishimoto Tadashi, aka Ho Lan Shan, a photographié plusieurs films de fantômes dans son pays natal avant d’aller exercer ses talents à Hong-Kong. Il a notamment photographié Le Manoir du chat fantôme, de Nobuo Nakagawa.

Techniquement, le film est sensationnel à tout point de vue. Le seul combat de Kuroneko, entre un Goliath et le fils, impressionne par le montage très nerveux de l’action, tension renforcée par le superbe travail effectué sur le son : pieds courant dans l’eau, cris des personnages... L’assaut final du fils débutant sans un son et s’achevant sur un jump cut de sa lame atteint un sommet.

L’apparition soudaine d’une fourrure, un geste félin déconcertant et le feulement de chats hors-champ suffisent à informer le spectateur que les deux femmes ne sont plus humaines. Le retour du fils, paysan désormais élevé au rang de samouraï, met la mère et la belle fille devant un choix cornélien : continuer d’assouvir leur vengeance en raison du nouveau statut social de leur fils ou l’épargner, ce qui revient à nier leur nouvelle raison d’être, si je peux m’exprimer ainsi à propos d’un ectoplasme.

Le fils est, lui, partagé entre sa mission de samouraï - statut se traduisant par l’amélioration de sa condition - et ses sentiments envers sa femme et sa mère. La relation charnelle entre le jeune samouraï et sa femme apporte une dimension sensuelle à ce film de fantômes, contribuant à sa singularité.

Kuroneko n’est pas seulement un film fantastique, il s’inscrit dans un courant de réalisations des années 60 visant à démythifier le Samouraï. A cet égard, la séquence d’ouverture est assez éloquente. Les Samouraïs dont les paysans sont les principales victimes. Qui respecte un paysan ou le considère comme un être humain ? demande plein de mépris le chef des samouraïs au fils. Cinéaste très engagé à gauche, Kaneto Shindo avait fait des difficultés de la vie paysanne le sujet de L’île nue.

Plastiquement, le film - comme les autres réalisations de Kaneto Shindo - est une superbe réussite, avec une photographie de Kiyomi Kuroda en noir et blanc très contrastée. Le jeu entre la lumière et l’ombre combiné à l’utilisation intelligente de la musique et des sons, renforcent l’impression de mystère.

Le caractère dépouillé de la photographie, mais aussi des décors – en particulier la belle demeure où résident les fantômes, qui ressemble à un décor de théâtre – concourt à créer l’atmosphère surnaturelle de Kuroneko.

Kuroneko est sorti sur les écrans français le 25 octobre, en même temps qu’un autre film de Kaneto Shindo, Onibaba, grâce à Potemkine Films.

- Article paru le jeudi 2 novembre 2023

signé Kizushii

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