Kyôfu joshikôkô : bôkô rinchi kyôshitsu
Lancée dans la surenchère de l’exploitation en plein boom seventies, face à sa rivale Nikkatsu, la Toei ne tarde pas à abattre ses dernières cartes en créant, sous l’impulsion de son producteur et fer de lance Kanji Amao, une série de films déclinés en lignes de produits [1] telle une usine Toyota produisant des séries limités à plein régime, et aujourd’hui regroupés sous l’intitulé “Pinku Violents”. Le cocktail de sexe déjanté et de violence hystérico-sadique atteignit bien vite des sommets avec la série des Kyôfu joshikôkô, comprenant quatre épisodes mettant aux prises de jolies délinquantes juvéniles, au sein d’un lycée tenant plus du camp nazi que d’une institution pédagogique.
Plus noire et crue que sa série jumelle, les Sukeban [2] (aka Girl Boss) - autre sous genre du yakuza eiga, dans lequel de jolies pépées à la tête de gangs de délinquantes se livrent à de violents catfights dans une ambiance kitsch & pop survoltée, peuplée de bikeuses hargneuses - les Terrifying Girls’ High School sont aussi le parfait véhicule pour asseoir la popularité - et la rivalité - des deux icônes les plus provocantes du studio, Miki Sugimoto et Reiko Ike. Cette dernière étant présente sur la totalité des films de la série, alors que la première en est la co-vedette des deux premiers ; ce qui tombe bien car nous allons fort justement vous parler du second volet, assurément le plus outrancier et provocateur de la série, mais aussi - affirmons le carrément - de la filmographie de son auteur, le génial Norifumi Suzuki !
Si l’on pouvait être sceptiques quant à l’attention apportée à son précédent Furyô anego den : Inoshika Ochô (1973), variation extrême sur le ninkyo eiga au féminin, mélange curieux de violence sanguinaire, de sexe dépravé et de mièvrerie romantique, Kyôfu joshikôkô : bôkô rinchi kyôshitsu prend un tout autre tour, restant dans son ensemble plus abouti et cohérent malgré d’excusables et nonchalantes absences. Entrant de plain pied dans le sujet, le cinéaste ne tergiverse pas l’ombre d’un instant. Le prologue étant à ce titre emblématique du style Suzuki, et constitue assurément La scène culte du film.
Du générique familier arborant le logo de la Toei sur fond de vagues s’écrasant sur les côtes japonaises, aucune musique aux grooves psyché et aux sonorités électriques ne vient ici combler les attentes du spectateur habitué au formatage de l’exploitation 70’s. Au lieu de cela, un cri perçant tout droit venu de l’enfer, émanant d’une jeune lycéenne en proie à une effroyable torture, comme tout droit sorti d’un slasher movie. La séquence qui suit nous plonge dans la pénombre d’un laboratoire de chimie d’un banal lycée japonais, dans lequel une jeune et pâle donzelle en uniforme d’écolière se voit martyrisée par un groupe de ses camarades, leurs visages cachés derrière des masques chirurgicaux rouges et les mains chaussées de gants en latex de couleur similaire. Ces dernières, telles des vampires, s’apprêtent à vider lentement la lycéenne de son sang à l’aide d’une énorme seringue reliée à un tuyau en caoutchouc qui déverse lentement les gouttes rougeâtres dans une éprouvette en verre. Les gros plans de visages inquiétants viennent ajouter à l’étrangeté morbide de la scène, dans laquelle Suzuki glisse d’inquiétants plans d’animaux empaillés sur fond de score free jazz aux sons torturés de Masao Yagi [3], sans oublier les inserts de scènes paisibles contrastant avec la violence de la souffrance infligée.
On pourrait clore l’article à ce stade tant l’art de la juxtaposition - l’imagerie de pureté du costume d’écolière contrastant avec le sadisme de la torture et des couleurs - est à son comble et résume parfaitement l’inventivité - certes perverse - du cinéaste à transcender le genre. Mais cela serait amputer l’oeuvre d’une grande partie de son discours radical et anarchiste sous-jacent, digne d’un brûlot anti-autoritaire d’une rare virulence. D’une école sarcastiquement prénommée “kibo gakuen” (littéralement école de l’espoir), Suzuki prend le contrepoint des génériques habituellement pop formatant ce type de séries, pour faire entendre une voix off déclamant un discours hypocrite sur les louanges de l’école dans sa pédagogie, visant à faire de jeunes délinquantes de dociles mères au foyers, gardiennes des valeurs traditionnelles de l’archipel.
L’action reprend logiquement ses droits alors que l’auteur nous présente les héroïnes, trois jeunes délinquantes dont Noriko (Miki Sugimoto), une chef de bande qui s’est volontairement laissée embarquer par la police afin d’être admise dans l’institution, et découvrir la cause de la mort de son bras droit, poussée au suicide alors qu’elle était pensionnaire de ce même lycée. Sur fond d’enquête et de vengeance le parcours violent de ces trois chefs de bandes aux prise avec une institution décadente, peuplée d’officiels pervers et d’étudiantes sadiques, vont émailler le film de quelques moments d’une croustillante violence et d’un érotisme obscène laissant peu d’espoir quant aux bienfaits de l’institution sur la jeunesse féminine japonaise.
Variation subtile sur le film de prison de femme, dont la série Sasori est le maître étalon, Norifumi Suzuki substitue la prison par un lycée japonais dans lequel on retrouve les figures classiques du genre : un proviseur autoritaire et manipulateur (Kenji Imai), une bande d’étudiantes à sa solde chargée de faire régner la discipline par tous les moyens (de préférence les plus humiliants), une police corrompue à la solde de l’établissement, dont le président Sato politicien véreux (Nobuo Kaneko) siège à la tête, préparant sa cérémonie commémorative en vue de futures élections... Au milieu de cette joyeuse bande de dégénérés pervers, Wakabayashi, un journaliste et maître-chanteur en quête de scandale (le très cool Tsunehiko Watase, accessoirement petit frère du célébrissime Tetsuya Watari), sans oublier la bikeuse et co-vedette Maki Takigawa (Reiko Ike) dont l’apparition vaut à elle seule le visionnage du film. Si on peut convenir que les japonais auront tout osé c’est bien dans l’apparition de Reiko Ike qu’ils le démontrent... en à peine plus de trois raccords, la motarde sortie de nulle part se retrouve d’une rue principale de Tokyo en plein couloir de salle de classe. Descendant de sa monture d’acier, elle débarque en plein cours, s’adressant à Noriko par le salut traditionnel yakuza (les jambes légèrement fléchies et la main droite tendue paume ouverte) pour la demander en duel ! Autant dire que Suzuki même s’il retombe dans ses travers de joyeux foutoir débridé et déconcertant, impose son personnage avec tellement de culot qu’on en reste pantois.
Le scénario - contrairement à son habitude Suzuki n’y a pas mis la main -, s’il se borne à illustrer les tortures et les humiliations subies par les lycéennes au sein de l’institution, s’enchaîne sur un rythme soutenu, démasquant peu à peu les pratiques fascistes des officiels et leur corruption jusqu’au point de non retour, symbolisé par la révolte finale et l’embrasement révolutionnaire à la violence cathartique, ne rappelant que trop bien les révoltes étudiantes de 1969 et les violents affrontement entre étudiants et police municipale.
Si le côté pop et stylisé est parfaitement assumé, sans oublier une galerie de personnages secondaires pittoresques, la satire corrosive et noire de l’institution va bien au-delà des oeuvres précédentes de l’auteur. Suzuki se livre à une attaque en règle des symboles du pouvoir nippon qu’on a peine à imaginer qu’elle soit passée par les mailles des censeurs. Même si l’auteur atteint des sommets de provocation avec son chef-d’oeuvre suivant Seijû gakuen (1974), après tout il ne s’agissait pour lui que du blasphème envers une religion étrangère, le christianisme. Dans Kyôfu joshikôkô : bôkô rinchi kyôshitsu, ce dernier va jusqu’à brûler le symbolique drapeau national à l’écran. Et que dire de la séquence pendant laquelle le président Sato (affublé d’une moustache Hitlérienne), caricature du fascisme impérialiste, passe lubriquement un vibromasseur aux couleurs du drapeau japonais sur la jeune professeur, tout de blanc vêtu alors qu’il récite une comptine sur le drapeau national, suggérant la comparaison avec la blancheur des cuisses de sa victime. L’allusion magistrale se terminant par un plan tellement suggestif qu’il en devient quasi pornographique.
On retrouve donc ici toute la palette du styliste, entre décadrages audacieux et caméra tourbillonnante, sans oublier une brillante utilisation des couleurs. Les scènes d’actions - de torture devrait-on dire - émaillent le film, sans oublier les séquences érotiques qui tentent tant bien que mal de répondre autant aux codes imposés du pinku, qu’à la logique scénaristique du récit. Miki Sugimoto signant au passage une de ses performances les plus convaincantes aux côtés de son cultissime Zeronano onna akai wappa (1975).
Mais pour autant, n’est pas Norifumi Suzuki qui veut. L’habileté du bonhomme dans la superposition des symboles outrageants s’exprime à verve déployée. La torture de Noriko faisant volontiers référence aux méthodes employées par les américains au Vietnam alors qu’un zoom arrière cible le pendentif en forme de croix chrétienne de la victime. Nous voilà de retour aux chères obsessions de l’auteur. Le symbole christique est distillé ici avec moins d’insistance, mais tout autant d’à propos. Le surnom de Noriko étant “jûjika bancho” (littéralement le boss à la croix) et son crucifix, symbole de son clan, fait clairement référence à son éducation au sein d’une mission chrétienne. Si l’on ajoute à cela une orgie délicieusement kitsch où s’expriment les couleurs psychés et où s’illustre le fantasme masculin pour les serafuku (uniforme d’écolière), on comprends vite qu’on touche là à l’une des perles du genre.
Tour à tour violemment sadique et pervers, étendard et affirmation d’une sexualité féminine comme arme politique, dénonciation et brocarderie de l’autoritarisme nippon, Kyôfu joshikôkô : bôkô rinchi kyôshitsu est un hymne au divertissement anarco-révolutionnaire célébrant le sexe faible - plus tant que ça du coup - tout en démontrant tout le génie schizophrène de son auteur. En un mot : du grand Suzuki !
Le film est sorti en DVD (zone 1, NTSC, 2.35:1, 16/9, Dolby Digital Mono, japonais, sous-titres anglais optionnels), uniquement disponible dans le coffret The Pinky Violence Collection chez l’éditeur américain Panik House Entertainement. Assurément LE coffret de l’année ! Il contient en plus trois autres films, Zenka Onna Karoshi Bushi, Sukeban Gerira et Zubenko Bancho Zange No Neuchi Mo Nai. A noter également un livret copieusement illustré et rédigé par l’un des spécialistes en la matière, Chris D.
La cerise sur le gâteau étant un CD bonus reprenant un enregistrement sorti en cassette audio et désormais introuvable, sobrement intitulé Reiko Ike No Miryoku, et reprenant des chansons de la provocante actrice dans le prolongement de ses tentatives vocales initiées avec la BO de Sex & Fury. Reiko Ike invente la sex-pop ! Ecouter de la pop sirupeuse 70’s avec la voix de Reiko Ike “réverb à fond” qui pousse des couinements lascifs... si c’est pas du bonheur ça !
[1] Ces films se classaient en trois sous-genres principaux : les shigeki rosen (littéralement ligne à sensation), ijoseiai rosen (ligne étrange) et harenchi rosen (ligne devergondée).
[2] Série dont nous reparlerons, Sukeban n’est autre que la contraction du mot suke (femelle en japonais) et bancho (chef de bande de jeunes délinquants).
[3] Né le 14 novembre 1932, ce musicien de jazz et pianiste composa de très nombreuses musiques de films pour la Toei. Fidèle collaborateur de Teruo Ishii, il officia notamment sur la série des Abashiri Bangaichi (1965-1972).






