L’École de la sensualité
Premiers désirs.
Après la découverte éblouissante d’Osen la maudite, l’un des chef d’œuvre de Noboru Tanaka, l’éditeur Wilde Side nous gratifie d’un nouveau titre du maître, à l’occasion de la seconde salve de sa collection L’Âge d’or du Roman Porno Japonais. Des bordels d’Edo, l’auteur nous transporte cette fois au début des années 70 dans un lycée pour garçons, en pleins émois libidinaux. La responsable bien involontaire de ces concupiscences s’avère être la jolie Mademoiselle Ikuko (Mari Tanaka), professeur de sport à la silhouette avenante et à la poitrine ferme et galbée. C’en est trop pour le jeune Isao (Ryoji Nakamura), puceau lunaire assailli par ses fantasmes, qui tombe éperdument amoureux de la belle. Alors que ses camarades préfèrent se dépuceler chez Oharu, une prostituée de bas étage également tenancière de bar (Moeko Ezawa) ; Isao déclare sa flamme de manière épistolaire, mais se voit éconduit par celle qui vit une intense romance avec Morimoto (Nobutaka Masutomi), un collègue professeur de chimie. Le jeune jouvenceau n’abdique pas pour autant, et usera de tous les stratagèmes possibles pour les séparer, y compris le plus incriminable.
L’École de la sensualité confrontera le spectateur coutumier des classiques de Tanaka à une double découverte : celle d’une actrice, Mari Tanaka, qui fût l’égérie de ses débuts [1] l’espace de trois films consécutifs [2] ; et la “période bleue” du cinéaste, méritant presque l’appellation de “période rouge” tant son usage de la couleur, du symbolisme, et son style demeurent empreints de surréalisme, parfois de façon caricaturale. Néanmoins, ce cinquième long-métrage conserve par sa vibrante description d’une passion déraisonnable, un charme certain, certes quelque peu suranné par une utilisation d’effets de caméra (notamment le zoom) trop systématiques pour se départir totalement des défauts d’une époque ; mais bien réel quant à l’illustration du talent plastique d’un esthète désireux d’expérimenter sans cesse de nouvelles formes d’incarnations de son imaginaire érotique.
A n’en pas douter, le jeune puceau Isao se lit volontiers comme l’Antoine Doinel du cinéaste, adoptant ici la perspective d’un adolescent émerveillé devant tant de sensualité débordante. On est loin de la vision de l’institution scolaire d’un Kumashiro, dont le point de vue de l’homme mûr trahit le vice plus que le romantisme (voir L’École du plaisir : jeux interdits). Par ailleurs L’École de la sensualité tranche avec les œuvres majeures de Tanaka dont la passion et l’érotisme mènent habituellement à la mort (La véritable histoire d’Abe Sada, Osen la maudite, Bondage, Marché sexuel des filles...). Ici le caractère comique et léger l’emporte au final, à l’image des situations vaudevillesques dans lesquelles le couple Ikuko/Morimoto se retrouve mis à l’épreuve.
Pour autant Tanaka ne se départit pas d’une vision de la passion que résumerait à merveille la chanson d’Aznavour, ici fort à propos, Mourir d’aimer [3]. Si le ton léger empêche l’intrusion du tragique, le film flirte néanmoins avec Thanatos, dont l’accident volontaire provoqué par Isao, apprenti chimiste, ne fait point mystère des intentions jusqu’au-boutistes de son personnage. De même le motif du rasoir empoigné par Mari Tanaka, s’il ne provoque ici qu’une simple entaille, annonce la castration chez Abe Sada, tout en renvoyant à la mort tragique et sublime dans le double-suicide des sœurs héroïnes de La femme du train de nuit, de facture supérieure, et également interprété par Mari Tanaka. Comme le démontrent les séquences filmées dans la chambre des deux amants, Tanaka est déjà ce cinéaste du lieu clos et des intérieurs utilisant le voyeurisme comme dispositif créatif autant que comme mode d’érotisation de scènes habituellement banales. Sa mise en abîme du voyeurisme est ici réinventée à plusieurs reprises, par l’utilisation de filtres chromatiques et de caches, déjouant habilement la censure au passage ; elle sert autant la narration qu’à distiller un érotisme de la suggestion dont il est un maître.
A l’instar de ses premières œuvres, Tanaka use tantôt ici d’effets de caméra pesants. Ainsi l’emploi du filtre rouge surajouté aux flammes enveloppant les deux amants au moment du climax ; technique déjà utilisée dans La femme du train de nuit, alourdit la scène par son symbolisme redondant. Ou encore, ses recours systématiques au zoom avant avec flou cinétique, suivi de fondu enchaîné lors des séquences oniriques. Néanmoins dans les scènes d’extérieurs, la mise en scène de Tanaka épouse avec une certaine légèreté les élans du cœur et les troubles passionnels de son jeune protagoniste. Le générique en plan-séquence, utilisant la caméra portée sous fond de jazz expérimental, rappelle le talent du chef opérateur Shinsaku Himeda, habituellement associé à Kumashiro, et dont ce sera la seule collaboration avec Tanaka. L’épilogue, filmé dans une artère principale bondée, évoque même par son réalisme le cinéma de Kumashiro qui n’hésitait pas à projeter ses acteurs dans le réel en les mêlant à la foule, dont on voit même les passants se retourner parfois avec stupeur. En outre, on retrouve chez celui que l’on surnommait affectueusement dans le milieu Himeda de l’“objet au premier plan”, l’habileté à intégrer harmonieusement un élément de décor faisant office de cache. Comme l’illustre la scène d’amour finale dans le laboratoire, où des tubes à essais disposés à droite du cadre masquent habilement les reins des acteurs, ou lorsque la transparence d’un aquarium plein cadre laisse entrevoir les corps haletants d’Ikuko et Motrimoto.
Tanaka se penchera de nouveau sur les relations licencieuses d’une institutrice en livrant le premier volet du diptyque La maîtresse d’école : vie privée (Onna kyoshi : shiseikatsu, 1973), qu’il vampirisera des années plus tard en s’inspirant d’un fait divers racontant les tourments d’une enseignante victime d’un viol par ses élèves avec La maîtresse d’école (Onna Kyoshi, 1977), prélude à une série de huit films controversés (1977-1983) [4]. Œuvre certes mineure au regard de la qualité de la filmographie de son auteur, L’École de la sensualité n’en demeure pas moins un vibrant témoignage du traitement original d’un sujet ordinaire, autant qu’un chant d’amour pour ces femmes libérées et vibrantes de désir qu’il sublime par le flamboiement de ses couleurs.
L’École de la sensualité est prévu en sortie DVD avec sous-titres français le 3 Mars 2010 chez Wild Side, au sein d’une collection intitulée l’Âge d’Or du Roman Porno Japonais, et qui comportera 30 titres. A noter que l’ensemble des films de la collection a fait l’objet d’une restauration numérique.
Remerciements à Benjamin Gaessler, Cédric Landemaine et Wild Side.
[1] Celle de sa maturité demeurant incontestablement Junko Miyashita avec qui il tourna également à trois reprises dans La Véritable histoire d’Abe Sada, Bondage et Marché sexuel des filles.
[2] Les deux autres étant La femme du train de nuit (Yogisha no Onna, 1972) et La famille amoureuse : le renard et le tanuki (Koshoku Kazoku : Kitsune to Tanuki, 1972).
[3] La chanson, datant de 1971, traite de l’histoire de Gabrielle Russier, une professeur agrégée de lettres qui s’est suicidée après avoir été condamnée pour détournement de mineur, à la suite d’une liaison amoureuse avec un de ses élèves.
[4] La série fût arrêtée suite à une plainte émanant d’officiels gouvernementaux et de l’association des professeurs Japonais.



