L’homme des foules
In the mood for loneliness.
Après The Soul of the Bone et Drifters, L’homme des foules [1] est le dernier volet de la trilogie de la solitude de l’artiste plasticien et cinéaste, Cao Guimarães, qui s’est ici adjoint les services du réalisateur Marcelo Gomes, tous deux brésiliens.
Juvenal travaille comme conducteur de trains à Belo Horizonte au Brésil. Mis à part les interactions avec ses collègues de travail, il ne semble pas avoir de vie sociale. Les réalisateurs montrent la banalité de son quotidien : le ménage dans son appartement équipé a minima, des promenades dans la ville, sa gymnastique matinale, une passe avec une prostituée... Cette vie sans aspérité est troublée par Margo, l’une des contrôleuses du trafic des trains, dont l’attention a été attirée par Juvenal. Une relation se noue entre ces deux êtres solitaires, il leur arrive ainsi de partager un repas, mais la glace n’est pas facile à briser. Le malaise est palpable quand elle vient lui rendre visite dans son appartement. Juvenal est encore plus surpris quand Margot lui demande d’être témoin à son mariage.
L’homme des foules est un nouveau film sur la solitude au cœur des grandes villes modernes. Conducteur de train, Juvenal avance dans la vie comme sa machine sur ses rails : sans rencontrer âme qui vive. Une vie à l’image de la couleur passée du film et au rythme de sénateur adopté avant la rencontre de Juvenal avec Margo. Film d’ambiance, cette solitude est rendue palpable aux spectateurs par les choix visuels des deux réalisateurs. O homem das multidões est le film plastiquement le plus abouti présenté au Festival des 3 continents en 2014.
Cao Guimarães et Marcelo Gomes ont en particulier choisi de filmer en utilisant un format carré. Ces derniers mois, plusieurs réalisateurs venus d’horizons différent ont abandonné le format large désormais la norme. Koji Fukada a choisi un format 4/3 dans Au Revoir l’été s’inscrivant dans la lignée d’Eric Rohmer, un de ses modèles, et Xavier Dolan a privilégié un format carré pour Mommy. Je n’en dis pas plus à l’égard du film canadien - mon film préféré de cette année - pour préserver la surprise. Les deux artistes brésiliens ont aussi choisi ce dernier format, soulignant ainsi l’isolement dans lequel se trouve Juvenal.
Mais leur travail visuel ne s’arrête pas là, ils jouent aussi avec les angles, les perspectives et la profondeur de champ pour l’isoler dans le cadre. Même montré au cœur d’une foule dense, Juvenal semble bien isolé. De même, lui et Margot ne sont pas présents dans le même plan lors de leur première rencontre en dehors du travail, illustrant ainsi leur difficulté à nouer une relation personnelle. Au cours d’une scène de repas, le découpage classique qui aurait consisté en un plan rapproché de l’un, puis de l’autre, pour ensuite les montrer ensemble, n’est pas utilisé. La caméra tourne autour de Juvenal et Margot, et si le visage de l’un est clairement présent à l’écran, celui de l’autre n’est montré qu’en amorce.
Outre sa dimension formaliste, L’homme des foules comporte plusieurs points communs avec In the Mood for Love, comme celui de se concentrer sur Juvenal et Margo en s’abstenant de montrer des personnes qui auraient toute leur place dans un récit traditionnel. Le futur mari de Margo n’est ainsi jamais présent à l’écran, car il n’a tout simplement pas sa place dans cette histoire. Leur relation est tout aussi platonique que celle de monsieur Chow avec Madame Chan, du moins rien n’est montré à l’écran.
L’homme des foules a été présenté au cours du 36e Festival des 3 Continents (2014), dans le cadre de la Sélection Officielle - Séances spéciales.
[1] Le film est librement adapté d’une nouvelle éponyme d’Edgar Allan Poe.




