La Ballade de Narayama
Au dix-neuvième siècle dans un village pauvre et reculé du Japon, la coutume veut que ses habitants de 70 ans s’en aillent mourir volontairement au sommet de Narayama. Le fils aîné de la famille a l’obligation d’aider son parent à se rendre sur cette montagne où se rassemblent les âmes des morts. Âgée de 69 ans, Orin possède encore toutes ses dents, signe de sa vitalité, et s’apprête sans sourciller à suivre la coutume. Pendant les 12 mois qui la séparent de son ultime voyage, elle va mettre de l’ordre dans les affaires de sa famille dysfonctionnelle.
A l’instar de son film précédent, Eijanaika, Shohei Imamura s’intéresse au petit peuple japonais. Mais dans sa filmographie, La Ballade de Narayama est plus proche du Profond désir des dieux. Qu’elles résident sur une île en mer de Chine ou dans les montagnes sur l’Archipel, ces communautés isolées survivent en s’imposant certaines coutumes, en réponse à l’environnement hostile dans laquelle elles vivent.
La tradition consistant pour les personnes les plus âgées à mettre volontairement fin à leurs jours [1] découle d’un impératif de survie : il ne faut pas que la population soit trop nombreuse car les ressources agricoles sont limitées. L’individu se sacrifie ou est sacrifié pour la communauté, aussi bien les personnes âgées que les enfants vendus au marchand de sel. Une soumission à la communauté à l’opposé des valeurs occidentales contemporaines où l’individualisme est la règle.
Shohei Imamura se place dans la position d’un ethnographe, qui assisterait à l’émergence d’une civilisation. La question de la vraie nature de l’homme sous les oripeaux de la civilisation traverse son œuvre. Il interroge ainsi un des fondements de la société japonaise, si soumise aux normes sociales. Élevé dans un milieu très discipliné, sa rencontre sur les marchés noirs de l’après-guerre avec des personnes ne suivant par les normes fut un grand choc et une révélation.
Le vernis de la civilisation a à peine séché sur les membres de la communauté du village : leur énergie primale, tellurique, n’est pas encore canalisée et bridée. Ses habitants laissent encore fréquemment libre court à leur pulsion.
La pulsion sexuelle est parmi celles-ci, l’une des plus puissantes et importantes. La Ballade de Narayama comme les autres œuvres du cinéaste ne plaira pas aux pudibonds. Cette pulsion est naturelle, il n’y a donc aucune raison pour le cinéaste de l’occulter, bien au contraire.
Dans ce village où les plaisirs sont rares, même celui de manger, le sexe est d’ailleurs l’un des seuls disponibles. La pulsion sexuelle est aussi l’une des énergies fondamentales pour l’humanité, dont elle assure la pérennité.
Le cycle de la vie est montré en accéléré, en inscrivant symboliquement La Ballade de Narayama dans une année de la vie du village. Le caractère naturel de ce cycle et des pulsions est souligné par la mise en parallèle de la vie des animaux et de celle des humains. Elles s’entrecroisent même parfois ! Une des scènes les plus marquantes du film est celle où des rats dévorent un serpent en hibernation, avant d’être eux-mêmes gobés au printemps par un autre serpent.
Le personnage principal Orin appartient à cette lignée de femmes au caractère bien trempé parsemant la filmographie d’Imamura. Elle décide de la vie et de la mort, de la sienne et de celle de la petite amie de son cadet, qui a commis un tabou dans une communauté toujours au bord de la famine : le vol de nourriture.
Sans même évoquer le géronticide, La Ballade de Narayama prend toujours aux tripes près de 40 ans après sa sortie dans sa peinture sans concession de la nature de l’homme.
La Ballade de Narayama a été restauré en 4K et l’édition Digipack vendue uniquement sur https://thejokers-shop.com/ contient le DVD et le Blu-ray du film, un livret de 44 pages avec le fac-similé du dossier de presse japonais de 1983 ainsi que des photos de tournage inédites.
[1] Ubasute





