Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon | Etrange Festival 2009

La Chambre Noire

aka Camera Obscura, Anshitsu, 暗室 | Japon | 1983 | Un film de Kirio Urayama | Avec Kôji Shimizu, Rie Kimura, Mayumi Miura, Yoshimi Ashikawa, Minoru Terada, Yuki Kazamatsuri, Eimei Esumi, Jun Hamamura, Kotoe Hatsui, Toshiyuki Kitami, Taiji Tonoyama

Roman porno introspectif.

Lorsque le vaisseau amiral de la Nikkatsu vire sa cuti pour se lancer à corps perdus dans le tout érotique en 1971, les meilleurs cinéastes de la compagnie ont soit quitté le navire, comme Imamura, ou se sont faits congédiés, comme Seijun Suzuki [1]. Quant aux autres, rares sont ceux qui étaient en exercice auparavant et qui ont accepté de continuer sur les nouvelles bases (licencieuses) imposées par le studio. Le plus capé mais aussi le plus commercial, étant sans nul doute l’auteur de La femme aux seins percés (1983), Shôgorô Nishimura. Et si l’on excepte Tatsumi Kumashiro qui n’avait tourné qu’un seul film en 1968, mais qui s’avéra un échec commercial ; seuls Koretsugu Kurahara (Bad Girl Mako), Toshiya Fujita (série Stray Cat Rock), Yukihiro Sawada (Melody of Rebellion) ou encore Yasuharu Hasebe (série Stray Cat Rock), tous fers de lance du style baptisé « New Action », ont semblé tirer leur épingle du jeu, capables dans une certaine mesure de s’adapter aux contraintes du genre, tout en conservant leur identité.

Le cas de Kirio Urayama, réalisateur de La Chambre Noire, est à ce titre unique, faisant presque figure d’anomalie dans l’histoire rose du studio. Celui qui avait réussi l’examen d’entrée à la Shochiku aux côtés d’Oshima en 1954, mais s’en était finalement allé rejoindre Seijun Suzuki à la Nikkatsu suite à un examen médical défavorable, fût remarqué dès son premier film, La ville des coupoles (1962), pour son réalisme social évocateur d’Imamura, co-scénariste du film et avec qui il collabora lorsqu’ils furent tous deux assistants de Yuzo Kawashima. Mais, à l’image d’autres collègues, moins préoccupés par les visées commerciales de leur employeur que d’endosser le rôle de porte voix de la critique sociale, tels que Kei Kumai ou Kazuo Kawabe ; il connut une longue période de purgatoire, dû à l’insuccès de son film suivant, Une jeune fille à la dérive (1963), bien que celui-ci fût récompensé de la Médaille d’Or au Festival de Moscou. Cette absence contrainte, qui lui fit traverser les années 60/70 à l’ombre d’auteurs qui ne tardèrent à s’émanciper de la tutelle des grands studios, semble pour sa part lui avoir été fatale. Il ne tournera plus qu’un seul film (La Femme que j’ai abandonnée, 1969) avant de quitter le studio en 71, indigné par sa brutale reconversion. Après avoir besogné à la télévision, la Toho lui permit pourtant de livrer son adaptation en deux volets du roman populaire d’Hiroyuki Itsuki La Porte de la Jeunesse [2], notable pour avoir permis les débuts à l’écran de la sublime Shinobu Ôtake (Poppoya, Ikitai, Shinde mo ii, Gonin 2).

Aussi, quoi de plus étonnant que de retrouver notre homme rempiler auprès du studio responsable de son éclipse artistique, et dont la production érotique a déjà entamé son inexorable déclin. D’un côté comme de l’autre une certaine compromission artistique semble avoir été de mise. En effet, la Nikkatsu cherchait alors une caution artistique et intellectuelle plus consensuelle et moins réductrice, apte à célébrer les 70 ans d’histoire de la plus vénérable compagnie, sans occulter pour autant le succès de son revirement. La Chambre Noire connu d’ailleurs, fait exceptionnel pour un roman porno, une exploitation dans les salles destinées aux films “grand public”, et non restreinte aux circuits spécialisés habituellement assignés au genre. D’un autre côté, Urayama y voit l’occasion d’écourter de longues périodes de désœuvrement avec le maigre espoir d’un retour en grâce. Il bénéficie à ce titre de conditions et de moyens exceptionnels. Il lui est consenti cinquante jours de tournage, au lieu des dix à quinze jours (en moyenne) contractuels, ainsi que l’opportunité de s’adjoindre les services de ses propres collaborateurs, en la personne de son scénariste Toshirô Ishidô [3] et du compositeur Teizô Matsumura [4].

Cette pseudo légitimité artistique recherchée par la Nikkatsu, pourtant coutumière de l’exploitation de la chaire, est renforcée par le choix même du sujet : l’adaptation du roman éponyme à succès (Prix Tanizaki) de l’écrivain Junnosuke Yoshiyuki [5]. Exit la primauté des héroïnes célébrant une liberté des sens que l’on a souvent, et à tort, confiné à un matériau destiné exclusivement à étancher la frustration du mâle nippon. L’écrivain Nakada (Kôji Shimizu), auteur intègre connu d’un cercle restreint, la quarantaine passée, vit hanté par le souvenir de sa femme morte dans un accident de voiture. Une mort qui revêt chez lui les apparats d’un suicide. En cause, leurs rapports affectifs tendus et le refus de ce dernier d’avoir des enfants, incitant son épouse à de successifs avortements. A travers la multiplication de liaisons et d’expériences sexuelles auxquelles se livre l’auteur, désormais libre de tous liens conjugaux, celui-ci se lance dans une auto-analyse, qu’il ambitionne de coucher sur papier sous la forme d’un roman (La Chambre Noire), devenant l’exutoire cathartique d’un sentiment de culpabilité persistant, mais condamnant toute éventualité d’un engagement affectif durable.

Avec La Chambre Noire, la Nikkatsu a commis une erreur impardonnable. Celle de lui attribuer le label “roman porno”. En effet, pour un genre aussi codifié, en terme de format de durée, de contraintes de production, sans oublier la primauté accordée à ses héroïnes protagonistes ; le film anniversaire d’Urayama s’engage sur une voix diamétralement opposée. Il est manifeste que son sujet et son approche néo-classique, dans sa mise en scène rigoureuse, mais ô combien monotone, ne conviennent aucunement aux codes du roman porno, sans oublier sa durée excessive (deux heures). L’essence et l’esprit du genre tenant précisément à ces fameuses 70 à 80 minutes, gages d’une narration parfois ténue, mais dynamique et vivement récréative. De même, une certaine urgence ajoutant impulsivité et force émane de ces délais de production restreints, obligeant parfois ses auteurs à adopter un style - Kumashiro et ses long plans-séquences - pour mieux en dépasser les limites, et dont on perçoit ici à l’inverse, une inertie doublée d’académisme, au travers de plans fixes s’enchaînant langoureusement. L’on ose à peine imaginer le chef d’œuvre qu’un Kumashiro ou un Tanaka aurait pu produire ne serais-ce qu’avec un tiers des moyens mis en œuvre ici-bas.

La déception est donc grande à mesure que s’égrènent les minutes et que l’ennui nous guette, de constater la mollesse d’une réalisation fuyant toute idée de modernité, pourtant si présente au cours de l’histoire du studio. Certes le propos de La Chambre Noire n’est point une célébration des sens, et même si le roman porno a toujours été éminemment dionysiaque, ici la chair est désespérément triste, l’impermanence de l’amour manifeste. Le passé devient, à l’image du rôle crucial qu’il occupe dans le cinéma de Wong Kar-Wai, un obstacle à la stabilité de toute nouvelle relation affective. Les couleurs sont ici à l’inverse de celles habituellement chatoyantes du genre. Ternes mais harmonieuses, tirant sur le jaune pour souligner l’intrusion du passé (les séquences de flash-back), ou plus chaleureuses et douces, dans l’intimité de la chambre de Natsue, dont l’éclairage à la bougie accentue l’effet.

Ce qui sauve le film, c’est finalement la finesse psychologique émanant des descriptions de l’intimité des rapports entre Nakada et ses relations successives ; d’un professeur d’Ikebana interprété par la sensuelle Mayumi Miura, actrice de séries TV à succès, à la fraîcheur de Maki (Yoshimi Ashikawa), lesbienne convaincue ; en passant par la troublante et fragile nymphomane Natsue (Rie Kimura). La qualité des dialogues et du jeu des acteurs apportant un degré de réalisme qui ajoute une certaine profondeur à la dramaturgie du destin de Nakada, voué à l’échec amoureux et à la solitude. Celle qui occupe le premier plan avec justesse, est sans aucun doute la relation qu’il entretien avec Natsue, son double féminin, qui dérivera ainsi vers l’exploration du sado-masochisme, filmé ici sans aucun sensationnalisme et avec sensibilité. Dans un exercice entremêlant littérature et sexualité on lui préférera de loin I Am an SM Writer (1999) de Ryuichi Hiroki, certes moins psychologique et intello mais dont l’humour et la crudité en font une œuvre plus vibrante.

Au final, ce qui apparaissait comme une œuvre ambitieuse, un essai sur l’existentialisme sexuel à la Henry Miller, voué à faire éclater la rigidité des codes du roman porno pour mieux le faire entrer au panthéon de la respectabilité, s’avère une déception pour qui chérit la liberté, la vivacité et la modernité avec laquelle un Kumashiro s’est approprié ce genre emblématique. Il n’en demeure pas moins une curiosité révélatrice de la diversité de production d’un studio qui aura façonné l’histoire du cinéma japonais tout au long de son existence ; et contribuera assurément à offrir au genre une image moins réductrice.

Film diffusé dans le cadre de l’Étrange Festival 2009 (Première Française).

La Chambre Noire est prévu en sortie DVD avec sous-titres français le 6 Janvier 2010 chez Wild Side, au sein d’une collection intitulée l’Âge d’Or du Roman Porno Japonais, et qui comportera 30 titres. A noter que l’ensemble des films de la collection a fait l’objet d’une restauration numérique.

Remerciements à Benjamin Gaessler, Cédric Landemaine et Wild Side.

[1Le cinéaste était d’ailleurs toujours en procès avec la compagnie à l’époque.

[2Également co-adapté par Kinji Fukasaku et Koreyoshi Kurahara en 1981.

[3Scénariste d’Urayama sur Une jeune fille à la dérive, il fût un collaborateur important de cinéastes de la nouvelle vague tels que Kiju Yoshida ou Nagisa Oshima ; il travailla également avec Juro Kara, Akio Jissoji ou Kihachi Okamoto.

[4Également poète, essayiste et professeur, Teizô Matsumura (1929-2007) est un des compositeurs japonais majeurs de l’après-guerre. On doit également à cet ancien disciple d’Akira Ifukube près d’une centaine de musiques de films, en particulier ses collaborations remarquables avec Kei Kumai et Kazuo Kuroki.

[5La Chambre Noire, 1969, disponible en France aux éditions Philippe Picquier.

- Article paru le mardi 5 janvier 2010

signé Dimitri Ianni

Japon

Ware ni utsu yoi ari

Japon

Forma : entretien avec Ayumi Sakamoto, Fumiyuki Yanaka et Nagisa Umeno

Corée du Sud

301-302

Corée du Sud

Mr. Mamma

Japon

All to the Sea

Corée du Sud

L’Arc

articles récents

Chine

Jeunesse : Les Tourments

Hong Kong

Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive

Japon

La Harpe de Birmanie

Japon

La Vengeance de la sirène

Japon

Le Pavillon d’or

Chine

Les Feux sauvages