Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hors-Asie | Etrange Festival 2003

La Semana del Asesino

aka Cannibal Man - The Apartment on the 13th Floor - Week of the Killer - La semaine d’un assassin | Espagne | 1971 | Un film de Eloy de la Iglesia | Avec Vicente Parra, Emma Cohen, Eusebio Poncela, Vicky Lagos, Lola Herrera

Je savais bien que le nom d’Eloy de la Iglesia me disait quelque chose. Et pourtant je ne connais pas cette Semaine d’un assassin ; à moins que... bon sang mais c’est bien sûr, il s’agit en fait du célèbre The Cannibal Man ! Un titre alternatif, opportuniste autant que trompeur, qui vaudra au film d’être interdit en Angleterre [1], et par conséquent de rejoindre mon interminable "wish list" de films à voir... Le procédé est simpliste certes, mais honnête. Cependant je sais d’expérience que, sur cette liste, nombreux sont les films qui ont finalement bien plus à offrir que chairs outragées et tripes ajourées. La Semana del Asesino, présenté au cours de la onzième édition de l’Etrange Festival dans le cadre d’un hommage à son réalisateur, fait partie de ceux-là, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Marcos (Vicente Parra) est employé en tant que boucher dans une usine agro-alimentaire. Un soir alors qu’il raccompagne Paula, sa petite amie, en taxi, le chauffeur s’insurge contre leurs étreintes sur sa banquette arrière ; la tension monte, tout le monde descend, et Marcos reçoit un coup de pied dans le ventre, avant que le chauffeur s’en prenne à sa compagne. Marcos se saisit alors d’une pierre qu’il abat sur le crâne de l’agresseur, et le couple s’enfuit. Le lendemain, Marcos apprend dans le journal que l’homme est décédé. Paula prend peur et tente de le convaincre de se rendre à la police. C’est au tour de Marcos de paniquer ; par crainte du système judiciaire espagnol, il étrangle la jeune femme...

Marcos a peur de la police parce qu’il doute, en tant que pauvre, de la valeur de sa parole : c’est un olvidado - un oublié. Quoique déclare le sac de sport qu’il utilise pour faire disparaître, morceau par morceau, les victimes qu’il accumule (il porte l’inscription "Contamos contigo", ie "Nous comptons sur toi"), l’Espagne en perpétuelle reconstruction ne compte sur cette homme que de façon très hypocrite. La preuve, c’est que Marcos continue de vivre dans une bicoque délabrée, seul au milieu d’un terrain vague à l’orée duquel poussent des immeubles de standing. Alors qu’un jeune homosexuel fortuné passe son temps à l’observer depuis le balcon de son appartement, les enfants qui jouent devant le vestige de pauvreté nous renvoient d’une certaine façon aux Olvidados de Buñuel. Dans cette Espagne Franquiste, Marcos représente le peuple, ceux qui effectuent les besognes nécessaires à la vie des nouveaux riches, nécessaires et de trop à la fois.

Rien d’étonnant par conséquent à ce que les cadavres des victimes de Marcos se retrouvent dispersés dans les paquets de la soupe la plus populaire du pays, à la fabrication de laquelle notre "héros" contribue. C’est d’ailleurs une promotion du protagoniste - qui coïncide symboliquement avec son accession au statut du tueur - qui rend cette "redistribution" possible. En acceptant de se faire d’une certaine façon, le porte-parole inavoué d’une société avide de voir sa pauvreté disparaître, Marcos accepte en retour de lui faire assumer cette volonté de la façon la plus explicite qui soit.

Le personnage du voisin homosexuel interprété par Eusebio Poncela [2], aux antipodes sociaux de Marcos, est dès lors indispensable à la pertinence quasi-satirique de cette mécanique meurtrière. A la fois amoureux de Marcos (une homosexualité très explicitement exprimée) et témoin silencieux de ses actes, il est la conscience en devenir d’une Espagne opprimée, silencieuse. Il aime (parce que c’est ce qu’il ressent) et condamne (parce que c’est ce qu’il doit ressentir) en même temps, cet être qui le rattache à une réalité que le pays ne devrait pas ignorer. Tout cela, il le fait tout de même principalement de loin, pour ne pas trop souffrir de sa dualité, pour ne pas se salir. La seule véritable interaction entre Poncela et Marcos d’ailleurs, se situe dans le confort purificateur d’une piscine, vécue principalement au travers d’un filtre d’eau.

Il est dés lors dommage autant que contradictoire que la culpabilité retombe, à la fin du film, de façon exclusive et assumée sur les épaules de Marcos. Si l’on en croit les propos du réalisateur recueillis dans le Catalogue de l’Etrange Festival cependant (et je ne vois aucune raison de les mettre en doute !), cette fin déroutante aurait été imposée par la censure. Rappelons que Jess Franco par exemple - en dépit de son homonymie avec le dictateur -, tournait à la même époque ses films en Allemagne ou en Suisse pour échapper à la rigidité des autorités de son pays ; de la Iglesia quant à lui, en tournant en Espagne et en se pliant aux coups de ciseaux locaux, donne finalement sans le savoir à cette semaine bien remplie, un second niveau de pertinence.

Dans son paradoxe final, La Semana del Asesino puise en effet la meilleure illustration de son coup de gueule social, bijou de réalisation et d’attention aux détails les plus sordides (comme ce grincement obscène du lit, lorsque Marcos y dépose les cadavres de son frère et de sa promise). La conclusion faussement morale à ce périple meurtrier ne change absolument rien aux problèmes que le film souligne ; elle participe au contraire à mettre mieux à jour les contradictions d’une époque.

Superbement réalisé (il suffit de quelques plans au début du film pour saisir le rapport Marcos/Poncela, la puanteur de la demeure du héros est presque palpable), La Semana del Asesino ("l’" assassin, caractérisé, étant devenu "un" assassin, malheureusement plus anonyme en français) parvient à cumuler caractère social, effets gore et même quelques moments de grâce (certains échanges verbaux entre Marcos et Poncela sont tellement bien rythmés au montage, que l’on croirait du théâtre). A la naïveté de la scène de la piscine près, ce film dont l’équipe du Festival dit que c’est le chef-d’œuvre d’Eloy de la Iglesia, demeure donc plus de trente après sa sortie une merveille de violence retenue, le sourire en coin.

D’abord ressorti en vidéo par Redemption Video avec une coupe d’une seconde, le film est désormais disponible - en version intégrale - en DVD zone 1 NTSC chez Anchor Bay. Le film est malheureusement présenté uniquement doublé en anglais... mais c’est tout de même mieux que rien !

[1Retitré The Cannibal Man pour les anglo-saxons, La Semana del Asesino a rejoint Cannibal Holocaust, Cannibal Ferox et 72 autres films sur la liste légendaire des "Video Nasties" anglais. Pour en savoir plus sur le "Video Recordings Act" de 1984, acte de censure contemporain aussi effrayant que méconnu, je vous conseille la lecture de l’excellent The Seduction of the Gullible : The Curious History of the British "Video Nasties" Phenomenon de John Martin, paru aux éditions Procrustes Press. Pour ceux qui auraient du mal à se procurer cet ouvrage rare (dont le nom singe le Seduction of the Innocent de Fredric Wertham qui, en 1953 tentait de relier la violence juvénile à l’influence néfaste des comics), le Video Nasties d’Allan Bryce paru chez Stray Cat Publishing Limited demeure une alternative, nettement moins riche mais tout de même intéressante.

[2Eusebio Poncela - dont c’est ici le second rôle au cinéma - sera véritablement révélé par Almodovar dans La ley del Deseo et Matador (1986 tous les deux). On le retrouve par ailleurs au générique de bon nombre de films espagnols "importants", depuis El Rey Pasmado (Le Roi ébahi - 1991) jusqu’au 800 Balas (2002) d’un autre de la Iglesia, Alex, en passant par Tuno Negro et Intacto (2001).

- Article paru le vendredi 5 septembre 2003

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