Le soleil se lève aussi
No Future.
Jiang Wen revient sur les écrans français en tant que réalisateur, huit ans après avoir fait sensation au festival de Cannes avec son deuxième film, Les Démons à ma porte. Il y récolta le Grand Prix du Jury, mais surtout un exil de plusieurs années de derrière la caméra pour ne pas avoir montré son film à l’Anastasie chinoise [1]. La leçon n’a pas été perdue. Si vous l’interrogez sur les époques qu’il a choisies pour situer son film, il vous expliquera qu’il s’agit d’un hasard.
Il n’est pourtant pas innocent de les situer en 1958, l’année de lancement du Grand Bond en avant, et en 1976, mort de Mao Tsé-toung et fin de la révolution culturelle. Le Soleil se lève aussi encadre les deux principales folies du Grand Timonier. Et de folie, il en est beaucoup question dans ce film.
Dans un village reculé de la Chine, une paysanne bascule dans la folie après avoir perdu une paire de chaussons brodés qu’elle avait achetée après les avoir vus dans un rêve. Son fils, qui n’a pas connu son père, a bien du mal à gérer ses extravagances. A la même époque, un professeur, interprété par Anthony Wong, est accusé d’avoir peloté une femme lors de la projection du film Détachement féminin rouge, le spectacle officiel de la Révolution culturelle. Le parti communiste chinois ne badine ni avec la pureté de la ligne idéologique, ni avec la morale. Le résultat final de cet épisode est l’envoi en rééducation de son collègue et ami, forcément joué par Jiang Wen, dans le village de la fermière. Il s’y consacre à la chasse en compagnie des gamins du lieu et continue de délaisser sa femme. Le film se clôt sur un coda en forme de flash back, où l’on retrouve la villageoise et la femme du professeur à l’époque de leur jeunesse dans une province de l’ouest de la Chine, le Xinjiang.
Jiang Wen prouve avec cette nouvelle œuvre qu’il est bien un réalisateur avec lequel il faut compter. Son film se distingue par un onirisme rare dans le cinéma chinois actuel. L’idée du film lui est d’ailleurs venue au cours d’un rêve, nous avait-il confié lors de son passage au festival de Deauville. La folie douce et parfois furieuse des personnages se retrouve dans la mise en scène : montage incisif, envolées lyriques, rêveries...
L’ensemble de ce foisonnant ouvrage pourra paraître confus à l’issue de la projection, mais il nous aura offert de splendides moments de cinéma. La scène de chasse à l’homme où Anthony Wong est pourchassé par la foule des spectateurs rappelle les grandes poursuites du muet – on pense à Cops de Buster Keaton -, magnifiée par la beauté plastique de la photographie.
Derrière cette apparente confusion se cache un film pour le moins subversif. Au lieu d’attaquer bille en tête cette sinistre période de l’histoire chinoise, le réalisateur préfère l’illustrer par l’épisode à priori léger du professeur peloteur. Celui-ci résume pourtant le destin d’un homme victime de la révolution culturelle : un lynchage public, une confession et... je vous laisse deviner son destin. De la même façon, la décision de clore le film par les évènements les plus anciens n’est pas une coquetterie de réalisation. Plutôt un pied de nez. Au lever du soleil, l’orient est rouge [2] et l’avenir des personnages semble radieux, mais le spectateur connaît le sort qui leur est réservé.
Le Soleil se lève aussi est sorti sur les écrans français le 13 août dernier. Le film, qui avait été présenté au cours de la dernière édition du Festival du film asiatique de Deauville, est par ailleurs disponible en DVD de l’autre côté du globe, par les voix électroniques traditionnelles.
[1] Personnage avec un grand ciseau créé pour représenter la censure.
[2] Nom d’une chanson à la gloire de Mao qui fut l’hymne de la révolution culturelle.



