Lesson of the Evil
Oh, the shark has pretty teeth, dear, and he shows ’em, pearly white...
Seiji Hasumi (Hideaki Ito - Sukiyaki Western Django), professeur d’anglais complice, sourire colgate et oreille attentive, est tant apprécié de ses supérieurs et élèves qu’il incarne en quelque sorte le référent implicite de son établissement, médiateur aussi bien en matière de tricheries assistées par téléphone, qu’en affaires personnelles. Aussi lorsque des étudiantes lui rapportent les exactions de Shibahara, professeur de sport qui abuse de la jolie Miya, Hasumi l’aide-t-il à sortir des griffes de son prédateur... vraiment ? Hasumi fait en réalité de chaque confidence, de chaque secret découvert par ruse ou surveillance illicite, un levier de manipulation ou de chantage pour affirmer son ascendant sur l’ensemble de l’école, éliminant ceux et celles qu’il ne parvient pas à maîtriser. Jusqu’à finalement décider, allons bon, que tout ces lycéens méritent de mourir au nom des divinités d’Asgard. Enter the shotgun.
Peu probable que Lesson of the Evil, adaptation d’un roman de Yusuke Kishi (Black House) pour laquelle Miike a lui-même trempé la plume, connaisse un jour les honneurs d’une sortie en salles aux USA, en France, ou encore en Norvège... Si Miike a su gagner en l’espace de quelques années la confiance d’un public plus large, moins marginal, c’est pour mieux la trahir ici, fidèle à l’empathie trompeuse de Seiji Hasumi. Ceux qui pensent que Miike ne réalise plus que des films pour enfant ou des jidaigeki de festival en seront pour leurs frais. Tout le monde d’ailleurs, et ce à chaque détonation du fusil à pompe manié par Hideaki Ito. C’est un peu comme si Peter Jackson s’en revenait enfin de Terre du Milieu pour nous offrir Bad Taste 2, en 4K et trois dimensions.
Point d’hystérie narrative, de ponctuation scato ou autre résilience surréaliste au programme de Lesson of the Evil. Le film prend son temps pour dévoiler la véritable personnalité de Hasumi, jouant du décalage entre l’allant du personnage et sa violence latente, exprimée en menaces enjouées, comme autant de réalités indiscutables. De façon tout aussi factuelle, Miike cadre le domicile de Hasumi l’air de rien, comme s’il était normal qu’il se dresse, délabré, comme l’antre d’un redneck cannibale. Il égrène les indices macabres et les sous-entendus meurtriers, sans y toucher, jouant de l’exposition de mœurs et travers discutables chez l’ensemble des protagonistes pour créer une ambiance globalement délétère. Tant et si bien que lorsqu’il révèle le passé de son anti-héros, au son du Moritat von Mackie Messer dont les paroles s’affichent à l’écran, on ne s’étonne presque plus de la légèreté de son portrait, pourtant ignoble, de tueurs en séries. Reste alors à Miike trois quarts d’heure pour regarder Hasumi faucher, au son de déclinaisons de Mack the Knife, l’ensemble du cast adolescent de Lesson of the Evil au fusil à pompe, comme si c’était chose convenue.
Mack the Knife... la chanson popularisée par Louis Armstrong, Bobby Darin et autre Ella Fitzgerald, bien plus qu’un simple motif entêtant, est la clé de ce film improbable. En lui même, ce standard du jazz est déjà une contradiction, contant avec entrain les méfaits d’un gangster – voleur, assassin et, dans l’une de ses versions plus anciennes, incendiaire, violeur et infanticide... A l’origine du personnage de Mackie le Surineur, un bandit au grand cœur du nom de Macheath, sorte de Robin des Bois, héros du Beggar’s Opera signé par John Gay en 1728, que Bertold Brecht, cynique, traduisit en allemand et retravailla en 1928 pour refléter la décadence de son époque, dans une inversion, en musique, des valeurs de la société, transformant Macheath en Mackie Messer [1]. Non content d’illustrer, affront époustouflant à l’inconscient collectif contemporain, cette apologie du anti-héros dans sa seconde moitié, Lesson of the Evil se fait, dans sa globalité, le reflet de l’évolution de la chanson elle-même, de Gay à Brecht [2]. Car Hasumi apparaît d’abord en héros aux dents blanches, providentiel redresseur de tort, avant de se dessiner en véritable requin...
Lesson of the Evil possède d’autres facettes, lorgne du côté de Goethe et même de Cronenberg (au travers d’un fusil partiellement organique) ; il jette ses personnages – parmi lesquels le couple Nikaido / Sometani (Himizu), toujours excellent – à la manière d’un George R.R. Martin, mettant d’autant plus à mal la notion de héros... Mais c’est cette cohérence improbable avec une complainte devenue parodie, qui constitue sa véritable identité, et justifie son injustifiable spectacle de mise à mort, affront moral à la fois aberrant et jouissif. Pour notre plus grand plaisir malsain, Hideaki Ito, bien loin des sauvetages d’Umizaru, y tâche irrémédiablement, qu’importe son imperméable, son image du sang des innocents.
Lesson of the Evil est disponible en DVD et Blu-ray au Japon (sans sous-titres), ainsi qu’à Hong Kong, sous-titré anglais.
[1] Messer signifie « Couteau » en allemand.
[2] Marc Blitztein, en 1950, purgera la version de Brecht de ses couplets les plus sévères pour donner naissance au standard tel qu’on le connaît.





