Let the Wind Blow
A quelle sorte d’objet cinématographique pouvait donner naissance un réalisateur qui, après avoir fait ses premières armes dans les studios de Bollywood, avait complété sa formation par un passage à la Femis ? Difficile d’imaginer deux univers plus dissemblables. Pas de mauvaise surprise au rendez-vous, Partho Sen Gupta nous livre un premier film ambitieux, mais surtout réussi.
Let the Wind Blow n’est ni un film de Bollywood, ni un film nombriliste. Le réalisateur Gupta centre son film sur Arjun, mais ce n’est que pour mieux le placer dans le cadre social, économique et géopolitique de l’Inde actuelle.
Arjun vit seul avec sa mère à Bombay et est à cheval entre deux mondes. Le jour, il suit sans conviction des cours à l’université. Son intérêt réside principalement dans les charmes d’une (très) ravissante étudiante, Salma, appartenant à la bonne société musulmane de Bombay. Le soir, il déambule dans Bombay avec ses amis qui sont pour la plupart sans emploi. Frères indiens des "hittistes" [1] du Maghreb, ils maudissent le ciel de leur funeste destin.
Un seul refuse cette situation. Chabia le mécanicien croit en la possibilité de changer son destin, et veut lui aussi goûter aux joies du matérialisme comme la jeunesse dorée de Bombay. D’autant plus qu’il pourrait ainsi conserver sa petite amie, danseuse.
Leur ami qui, casquette américaine vissée sur le crâne, revient des pays du Golfe où il a "sué sous le burnous" symbolise la réussite. Signe de sa nouvelle opulence, il distribue à ses amis des paquets de cigarettes, mais attention pas n’importe lesquelles, des américaines. Des images et des symboles qui nous ramènent à l’époque de l’après-guerre en Europe. Il n’est finalement pas surprenant que ces jeunes de Bombay aient des faux airs de vitelloni felliniens.
Salma est à la fois une déesse qui semble inaccessible, mais également une ouverture sur un monde différent, des valeurs différentes. Elle n’a pas les mêmes contraintes matérielles que lui, elle possède une voiture et lui un scooter. Grâce à elle, même si c’est fortuitement il s’essaye à l’art dramatique, domaine où il se découvre des prédispositions.
Ballotté entre ces deux pôles, Arjun ne s’engage pas, il se laisse porter par les événements. Quand des discussions s’engagent sur le Cachemire, il semble toujours sur le point d’exprimer son point de vue, sans doute opposé à ceux exposés, mais toujours il s’arrête au bord de ses lèvres.
Ce comportement velléitaire tranche avec celui de la génération de ses parents et de ses grands parents. Lors de la partition de l’empire des Indes entre l’Inde et le Pakistan, la grand-mère de Salma a préféré rester à Bombay plutôt que de partir comme le reste sa famille au pays des purs. La mère d’Arjun s’escrime au travail pour qu’il puisse faire des études.
Par-delà la vie quotidienne d’Arjun, Salma et Chabia, de la télévision sourd les menaces (affrontement Pakistan/Inde, Georges Bush...) qui rôdent sur le film.
Sur le plan de la forme "le Vent" montre que le numérique n’est pas synonyme d’image crasse et floutée. Il s’agit d’une des plus belles utilisations du numérique qu’il m’a été donné de voir cette année. Les scènes tournées dans Bombay lorsque l’on suit Arjun dans ses escapades nocturnes sont parmi les plus belles du film.
L’image a été retravaillée afin faire prédominer les tons chauds. L’atmosphère du film est également créée par l’omniprésence de la musique, qui, on le sait désormais, est partie intégrante de la vie quotidienne. Let the Wind Blow ne contient aucune scène chantée et/ou dansée, mais est continuellement baigné par la musique d’ambiance. La ponctuation de certaines scènes par la musique originale du film apparaît même superflue.
Prends ton destin en main, exprime toi ou d’autres s’en chargeront à ta place, et peut être pas pour le meilleur des mondes, avertit le réalisateur.
Let the Wind Blow a été diffusé au cours du 26ème Festival des 3 Continents à Nantes.
Site officiel : http://www.letthewindblow.com
[1] Hittiste : nom dérivé du mot algérois "hit" qui signifie mur et désigne les jeunes qui n’ont pas d’autre activité précise dans la société que de s’adosser à un mur. Il existe une version marxiste, tendance Harpo, qui elle soutenait vraiment les murs (cf. Une nuit à Casablanca).




