Lou Ye
Nuits d’ivresse printanière vient de sortir sur les écrans français. Sancho vous propose de faire plus ample connaissance avec son réalisateur Lou Ye, qui ne cesse de tester les limites de la censure chinoise. Dans son dernier film, il raconte sans détour l’histoire d’amour entre deux hommes.
Sancho : Nuits d’ivresse printanière a été réalisé en Chine sans autorisation. Comment se déroule concrètement un tournage dans un tel contexte ? Avez-vous par exemple des personnes qui surveillent, pour vérifier que la police ne surgit pas au milieu du tournage ?
Lou Ye : Ce n’est pas aussi grave que vous l’imaginez. Nous l’avons tourné comme un film normal, avec une petite équipe d’amis. Nous n’avions pas de guetteurs. Mais nous savions que nous pourrions avoir des problèmes et que le tournage pourrait être interrompu. Finalement ce n’est pas arrivé. Mais ce qui m’a vraiment plu, c’est que nous avons reçu plus d’aides que je ne l’imaginais lorsque les gens savaient que le tournage était interdit. Même un simple citoyen chinois sait que ce n’est pas bien d’interdire à un réalisateur de faire son travail.
Vous montrez, dans ce film et le précédent Une jeunesse chinoise, des histoires d’amour très compliquées. S’agit-il de votre vision de l’amour et/ou du monde actuel ?
Pour moi, l’amour est quelque chose de très compliqué (rires). Lorsque vous avez des problèmes amoureux, cela influence toute votre vie.
J’ai quand même l’impression que ces histoires sont aussi le reflet des changements de la société...
Je voudrais que mes films reflètent la vie actuelle en Chine. La situation est cependant très compliquée à expliquer. Mais prenez par exemple la scène dans laquelle des personnes âgées dansent dans un parc et sont rejointes par les deux premiers rôles masculins. En apparence tout va bien. La vie est paisible en Chine. Même deux hommes dansant ensemble ne créeront pas de remous. Par contre, ils sont homosexuels et il est impossible de le dire. Tout le monde est pourtant au courant de leur homosexualité, mais personne n’en parle. C’est un simplement un exemple, mais les problèmes de ce genre sont nombreux.
Pourquoi avez-vous choisi de montrer les scènes de relations sexuelles sans fard ? Pour faire évoluer les esprits ?
Ces scènes ne doivent pas poser de problèmes car le sexe fait partie intégrante de la vie. Si certains sujets dans la vie doivent être dissimulés alors cela créera des problèmes.
Ces scènes détonent dans un cinéma chinois très prude, et pourraient même surprendre un spectateur occidental plus habitué.
C’est peut-être l’encouragement de la Nouvelle Vague, car elle était très proche de la vie réelle. On peut dire que c’est parti de la France. [1]
Dans Une jeunesse chinoise, vous utilisiez peu de lumière artificielle et cette tendance s’est accentuée dans votre dernier film. Pourquoi ?
Je travaille dans ces conditions car je pense qu’une lumière aussi naturelle que possible facilite le travail des acteurs. Je constate parfois que les acteurs arrivent à montrer quelque chose d’excellent lorsqu’il y a très peu de lumière artificielle. Ce manque de lumière permet aux acteurs d’être plus naturels. Pour la scène d’amour dans la salle de bain, j’ai essayé différentes méthodes, mais je n’obtenais pas ce que je voulais. Nous avons finalement filmé avec la lumière authentique. Un instant la scène est très claire, puis elle s’assombrit et ainsi de suite. C’est très proche des conditions quand ils font l’amour.
Quels rôles ont joué les textes cités dans ce film dans votre inspiration ?
Je cite les paroles d’un écrivain chinois des années 30 qui s’appelle Yu Dafu. Cet auteur attache beaucoup d’importance à l’individu en tant que personne. Je l’aime beaucoup et ses préoccupations sont très proches des miennes. Dans le même temps, il y a l’image et l’écriture chinoise imprimée verticalement sur la pellicule. En Chine, on mélange traditionnellement peinture et poésie.
Comment préparez-vous les scènes d’amour, qui doivent être difficiles à tourner pour les acteurs ?
Premièrement, il y avait une confiance mutuelle totale. Moi, le caméraman et les acteurs, nous nous connaissons très bien. Nous sommes des amis. Et nous savons pourquoi nous tournons ces scènes-là et pourquoi nous tournons ce film. C’est pour ces raisons qu’elles se font facilement.
Que pensez-vous de la tendance à classifier certains films comme des films homosexuels alors qu’ils sont simplement des films d’amour ?
Vous touchez vraiment là le sujet de Nuits d’ivresse printanière. L’amour c’est l’amour. Il ne faut pas le classifier comme de l’amour homosexuel ou hétérosexuel. J’ai donc tenu à ce que les deux femmes du film jouent un rôle important dans l’histoire. Lorsqu’ils sont tous les trois dans le lit, comment pouvez-vous dire que c’est un film sur l’homosexualité ? Masculin/féminin, c’est une question d’équilibre, il ne s’agit pas d’un affrontement. C’est l’un des points que je voulais illustrer avec mon film. Chacun est différent et vit une vie différente. Toutes ces différences font la grandeur de la vie.
L’interview a été réalisée lors du festival de Deauville 2010.
Remerciement à Céline Petit. Photos : Kizushii©
[1] Sur le ton de la plaisanterie.


