Mater Dolorosa
Dans une rue de Manille, un homme a le réflexe de se faire bouclier pour sa femme au passage d’un deux roues, sitôt criblé de balles. Lourdes Lagrimas (Gina Alajar), deux fois matriarche, reprend le flambeau de son défunt mari, chapeaute les activités illicites de son quartier. Son fils Eli (Carlo Aquino), s’occupe des jeux et des drogues, qu’il ne peut s’empêcher de consommer, tandis que l’ainé, Joseph (Cogie Domingo), fait tourner son garage avec des voitures volées. Sa fille Fatima (magnifique Alessandra de Rossi), en uniforme, fait le lien avec les forces de l’ordre, et son cadet Benjamin (Felix Roco) lui, reste en dehors de tout ça. A l’approche de la nouvelle année, le maire de Manille, un temps financé par Lourdes et les siens, décide de lancer une croisade contre le crime organisé, aidant en réalité son fils Charlie à faire main basse sur la ville. Dans cette fin d’époque, qu’elle accepte plus facilement que ses fils, Lourdes tente comme elle peut de jouer son double rôle de mère, de clan et de famille...
Han Gong-ju, Nagima, Steel Cold Winter... les films les plus marquants de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville avaient à mon sens deux choses en commun : ils étaient traversés de douleur, et faisaient la part belle aux femmes. Ce n’est que justice, du coup, que je termine mon compte rendu du festival par Mater Dolorosa – la mère des douleurs – du philippin Adolfo Alix, film de gangster au féminin, tout entier dévoué à son portrait de matriarche. Participant d’une cinématographie plus classique, évoquant une réminiscence lointaine de Ferrara, Mater Dolorosa est paradoxalement peu violent, en dépit de son sujet et de son cadre, les rues de Manille – que l’on a connues terribles dans le Tirador de Brillante Mendoza. Celles-ci s’emplissent, en la période du nouvel an, du crépitement de feux d’artifices, dont on attend constamment qu’il se transforme en rafales autrement moins festives.
Mater Dolorosa se prévaut principalement de la présence à l’écran de Lourdes Lagrimas [1]. Gina Alajar, superbe, interprète une femme digne, constamment bien mise, qui n’hésite pas à brandir une arme à feu pour résoudre une querelle domestique en pleine rue, mais n’incarne pour autant jamais une menace, sinon une autorité. Son ingérence dans les amours de ses fils, l’équité de ses distributions de claques, les discussions posées avec le chef de la police... Lourdes Lagrimas a beau contrôler les activités illicites de son quartier, elle le fait en tout point comme une mère, avec une certaine noblesse, peu désireuse de déclencher une guerre avec les nouvelles générations, qui ne se satisfont plus d’une corruption nonchalante, ne s’accomplissent que dans la violence. Elle tempère ses enfants, les corrige et les protège, comme elle peut, sans jamais perdre de vue son vieillissement, son inadéquation avec ce monde qui change ; symbolique appropriée de la nouvelle année...
L’un des plus beaux plans de Mater Dolorosa voit Gina Alajar se regarder dans le miroir, donnant au spectateur l’occasion de contempler le tatouage qui orne son dos. Cette affirmation indélébile d’appartenance à la famille du crime, qui perdure alors que les années passent, que le corps vieillit... Le crime, plus permanent que la vie. Une image qui scelle dans l’esprit du spectateur, l’idée que Mater Dolorosa se terminera forcément, d’une façon ou d’une autre, par des funérailles ; respectueux, comme son héroïne, des traditions d’un genre. Un respect qui se décline dans un sublime 2:35 désaturé, qui joue du format pour composer des tableaux de contrastes, embrasser et unir, ne serait-ce qu’à l’image, une famille dans ses enjeux communs et ses différences.
Mater Dolorosa a été présenté lors de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2014), en compétition.
[1] Lagrimas signifie « larmes » en espagnol.





