Midnight Sun
La nuit touche à sa fin et, depuis la fenêtre de sa chambre, Kaoru observe un jeune homme. Celui-ci, muni de sa planche de surf et d’un enthousiasme enfantin, s’apprête, comme tous les jours, à aller taquiner l’océan avec ses amis avant d’être en retard au lycée. Si la journée du surfeur commence aux premiers rayons du soleil, celle de Kaoru s’achève. L’adolescente souffre en effet d’une maladie dégénérescente, le Xeroderma Pigmentosum, qui se traduit par une allergie aux UV. Kaoru passe donc ses journées à dormir et ses nuits seule, emmène sa guitare dans les rues désertes et s’assied, à la lueur d’une bougie, pour chanter ses compositions personnelles. Un soir, alors qu’elle chante pour sa cousine et unique amie, Misaki, Kaoru aperçoit le surfeur dont elle s’est éprise, et se décide à l’aborder...
Une insolence certaine et typiquement japonaise, se dégage a priori de Midnight Sun et de sa démarche opportuniste, d’utiliser un mélodrame comme véhicule musical pour sa jeune interprète, l’idole Yui. Si les films construits autour de la promotion d’artistes issu(e)s de telle ou telle écurie de talento sont nombreux, et parasitent aux yeux de beaucoup la production cinématographique nippone, le film de Norihiro Koizumi réussit toutefois là où tant d’autres échouent : à savoir émouvoir avec intelligence et sincérité, tout en remplissant son objectif marketing. Et il le fait en reposant Midnight Sun sur le talent, bien réel pour une fois, d’une protagoniste/produit qu’il réussit à incarner en une précieuse rencontre cinématographique.
A l’inverse de beaucoup de mélodrames qui tentent de remplir leur narration de vie, d’un foisonnement de destins croisés et de personnalités secondaires, Midnight Sun utilise de façon pertinente la maladie de son héroïne pour créer une authenticité parfaitement artificielle, puisqu’exempte d’arrière plan social. Kaoru, sa fragilité une délicatesse, sa maladresse relationnelle une force musicale, est une singularité, et son histoire se construit logiquement dans l’isolement. Les règles qui construisent la vie diurne des jeunes de son âge n’ont pas d’emprise sur elle, et l’adolescente échappe donc à une certaine réalité, pour évoluer dans une dimension sur laquelle elle rayonne, telle un soleil de minuit, de son intensité diaphane.
Yui, du haut de ses 19 printemps (à l’époque de la sortie du film), est impressionnante dans la justesse de ses interprétations. Musicale tout d’abord, puisque ses chansons pleines de vie, alternances de douceur et de conviction, sont portées par une voix magnifique. D’actrice ensuite, puisqu’elle donne corps à la détresse de Kaoru avec un jeu qui oppose musicalité et silence, voix et regard. Lorsque ce dernier se pose, au milieu d’une chanson, sur la silhouette de Koji, quelques instants avant leur première rencontre, son intensité prolongée est saisissante ; comme si l’actrice avait maintes fois éprouvé la force de la première émotion de son personnage, qu’elle retranscrit dans les soubresauts de sa respiration accélérée. Un regard complexe, de ceux que l’on se souvient avoir portés et dont on aimerait tous ressentir le poids, détail parmi d’autres qui constituent le touchant édifice Midnight Sun. A cet instant, on repense avec émotion à la rencontre d’une autre chanteuse reconstruite à l’écran dans un personnage fictif enivrant, elle aussi paradoxe d’innocence et de conscience adulte, l’Angelica Lee de Betelnut Beauty.
Les protagonistes qui accompagnent l’émotion marginale de Kaoru, et encouragent son accomplissement musical, évoluent autour d’elle tels des satellites, distants et complémentaires, et renforcent la douceur d’un mélodrame presque éthéré. La réalisation de Koizumi parvient à multiplier par le cadre les fenêtres sur leurs relations, sans jamais s’adonner à un cinéma trop ostentatoire (sauf peut-être lorsque des musiciens de rue viennent se joindre à Kaoru le temps d’un clip dans le film), et isole encore plus la jeune femme et ses interlocuteurs du reste du monde. Pourtant, ceux-ci paraissent étonnamment réels et proches de nous, grâce à l’intelligence humaine et à l’attention presque paternelle du réalisateur. Ainsi lorsque le père de l’héroïne (fantastique Goro Kishitani) prend sur lui d’inviter Koji à dîner alors que que Kaoru l’a repoussé, il regarde plus qu’il ne met en scène l’adolescente quitter le cadre non pas pour bouder, mais pour aller se changer et revenir mieux mise en valeur.
Si l’on excepte une scène qui retranscrit à merveille la menace qu’incarne le soleil pour son héroïne - et construit la découverte par Koji du mal qui frappe Kaoru au travers de l’inquiétude de ses parents partis, hors champs, à sa recherche -, Midnight Sun n’a jamais besoin de céder aux violons de rigueur dans le mélodrame, puisqu’il les intègre dans sa narration au travers des chansons de Kaoru/Yui [1]. La dernière prestation de cette enfant de la lune, simple diffusion qui permet enfin à ses parents de l’entendre chanter, est de plus une empreinte remarquablement optimiste. Il est certain que ces intermèdes musicaux - qui soulignent pourtant un personnage et non sa mise en scène, comme c’est trop souvent le cas - feront ou déferont le film aux yeux et aux oreilles des spectateurs, suivant qu’ils seront sensibles ou non à leur émotion à la fois sincère et programmée. Fleur bleue que je suis, quand je ne me pavane pas devant la cruauté humaine, j’ai pour ma part été profondément touché et séduit par cette figure ambivalente de l’entertainement nippon, contraction, autant que contradiction, de plan marketing et de cinéma authentique.
Midnight Sun est disponible en DVD japonais, sans sous-titres, mais aussi en VCD et DVD HK, sous-titrés en anglais et nettement plus abordables.





