Mind Game
Hum, que vient-il de m’arriver ?
C’est très probablement la question que vous vous poserez, lorsqu’apparaitra le générique final de ce film hors norme que nous a servi le Studio 4°C. Ces gens bien attentionnés ont pour habitude d’offrir aux spectateurs, des œuvres où les animateurs ont la possibilité de laisser libre cours à leurs envies les plus folles. C’est ce qu’a fait Masaaki Yuasa en réalisant un petit bijou pour mirettes et esgourdes. Et pourtant, ce projet n’est pas né sous les meilleurs hospices puisqu’il est l’adaptation cinématographique du manga éponyme de Robin Nishi [1], déjà réputé comme complètement déjanté. La différence de qualité – dessins simplifiés, rythme plus lent, narration épurée – souvent constatée entre une version papier et sa cousine animée, avait donc de quoi inquiéter, mais ces quelques doutes vont être très rapidement balayés par une vague nommée Mind Game.
Nishi est un jeune mangaka raté, qui vivote principalement de petits boulots et reste habité par un regret de jeunesse répondant au doux prénom de Myon. La vie semble enfin lui sourire lorsqu’un soir, alors qu’un métro le ramène péniblement chez lui, il la voit attraper le wagon de justesse et tomber à ses pieds. Ces « heureuses » retrouvailles vont se prolonger tard dans un petit restaurant que possède le père de Myon, et où celle-ci donne de temps en temps un coup de main. Tous les personnages présents auraient pu profiter de cet agréable moment, autour d’un bon verre de saké, mais le Tout-Puissant n’avait pas vraiment prévu cela. Malheureusement pour Nishi, le grand et baraqué fiancé de Myon va se pointer, suivi de près par deux yakuzas aux intentions plus que douteuses. Après une brève pause relativement tendue, le rythme va sérieusement s’accélérer. Nishi va se prendre une balle dans le postérieur, en mourir, se retrouver face à son créateur – plus omnipotent que jamais - s’offrir une magnifique résurrection ainsi qu’une course-poursuite à couper le souffle - pour tenter d’échapper à d’autres yakusas – et finira sa route dans le ventre d’une énorme baleine. A ce moment là, on vient tout juste de passer le premier tiers du film.
Mélangeant plusieurs styles aussi différents qu’a priori incompatibles, les choix graphiques de Masaaki Yuasa sont très prononcés - à mille lieux de l’aspect plutôt rond et classique de la plupart des mangas mainstreams – donnant ainsi du caractère à un genre qui, dominé depuis longtemps par nos voisins d’outre atlantique, en manque parfois un peu.
Les décors par exemple sont très détaillés mais les perspectives, plutôt fantasques, accentuent la déstructuration de la réalité d’Osaka, où se déroule l’action. Nous nous retrouvons projetés dans un univers original, favorisant ainsi l’adhésion du spectateur à la frénésie généralisée du film.
Les visages, très simplement représentés, deviennent ponctuellement ultra-réalistes, presque photographiques lorsque les émotions intérieures du personnage concerné deviennent trop intenses ou trop complexes pour être dessinées. Ce décalage, propre au manga, est un ressort comique très efficace dont les auteurs n’abusent, heureusement, pas trop.
La couleur joue elle aussi sa partition à merveille. Si la plupart des séquences se déclinent sur une seule tonalité, permettant ainsi de garder une unité visuelle que toutes les raisons évoquées plus haut mettaient sérieusement à mal, on ne peut malgré cela s’empêcher parfois de basculer dans un état proche du rêve éveillé. Mais rassurez vous, la solidité de la structure narrative vient contre-balancer cette folie visuelle qui aurait pu perdre de nombreux spectateurs.
Ce film débute par une sorte de résumé ultra rapide, et donc énigmatique, de la vie de tous les protagonistes. Il se termine de la même façon, à la différence qu’au regard de ce qui vient de se passer pendant plus de 100 minutes, ces petits éléments biographiques prennent alors tout leur sens. Tout en donnant au projet un aspect abouti, cet effet structurant souligne ainsi l’importance de la constante Temps au sein de cette histoire, car nous ne sommes définitivement pas revenus au point de départ. Les nombreux flash-backs du film, fondamentaux dans leur participation à la construction narrative et donc à l’équilibre général atteint par le réalisateur, ne sont pas là par hasard. Tout en rappelant l’influence primordiale que certains évènements passés et même parfois complètement anodins ont sur notre vie, ils soulignent que ces mêmes évènements peuvent très bien servir de tremplin pour relancer une vie qui semble à l’arrêt, enterrée sous un monceau de complaisance. En bref, ce temps qui passe, accrochant ses boulets au fur et à mesure, ne doit pas devenir une voie désespérément écrite et rigide, mais plutôt une libération jouissive où tout est possible. Cette idée que l’on peut trouver horriblement positive et naïve, est à la fois noyée et exacerbée par l’aliénation qui règne dans cette œuvre – cela dépendra de l’accueil que voudra bien lui faire le spectateur.
Il ne serait pas correct de parler de ce genre de film sans évoquer la principale intéressée, à savoir l’animation. Et là encore, il est difficile d’être déçu. On ressent très rapidement une osmose entre les différents rythmes impliqués - montage, mouvements des personnages, mouvements de caméra – à quoi il faut ajouter la musique, elle aussi parfaitement intégrée. Résultat, cela part dans tous les sens, avec une fluidité digne des meilleurs films de Bill Plympton. Le point d’orgue étant sans conteste la scène où Nishi et ses comparses, donnent tout ce qu’ils ont au plus profond de leur âme pour réussir à s’éjecter du cétacé - à tel point qu’ils finissent par en courir sur l’eau.
S’il est bien un film qui doit se vivre et non simplement se regarder, c’est bien Mind Game. Aucune phrase, aucun mot ne suffiront à rendre justice à ce délire monumental, dont la qualité principale est peut-être tout simplement la cohérence. Une seule solution, procurez-vous ce film !
Mind Game est disponible sous la forme d’un très joli coffret 2 DVDs édité par Potemkine et Agnès b.
[1] Introuvable en français, mais si tout le monde achète le DVD, peut être qu’un de nos nombreux éditeurs s’adonnant à la bd japonaise va se réveiller.





