Monsterz
Il était inévitable que le rayonnement de l’entertainement sud-coréen dans le reste de l’Asie, finisse par dépasser le cadre des drama et de la musique – comment expliquer autrement, l’envie de se réapproprier un film si récent, le Haunters de Kim Min-seok ne datant que de 2010 ? Vous me direz que c’est de bonne guerre, Kim Dong-bin n’ayant pas non plus en son temps attendu très longtemps pour localiser Sadako sous les traits de Bae Du-na avec son Ring Virus. Et puis finalement, la mécanique fantastique au cœur de Haunters, vibre d’une certaine façon à l’unisson avec l’une des thématiques récurrentes de la filmographie d’Hideo Nakata, lorsqu’elle se peuple de spectres meurtris : la douleur projetée. Admettons. Que dire toutefois, de la volonté de réparer ce qui, à la base, n’était même pas cassé ? Car Monsterz, présenté en première mondiale au cours de la seizième édition du Festival du film asiatique de Deauville, dans le cadre d’un hommage pour le moins abscons au réalisateur de Ring [1], plombé par une dramaturgie étirée en longueur et baignée de pleurs, surligné à outrance par une partition larmoyante de Kenji Kawai, trébuche sur la confrontation de l’horreur et de l’humour, oublie l’identité si léchée de l’original pour se parer d’une platitude toute télévisuelle, et s’engonce dans une boursouflure que son modèle évitait justement avec talent.
Un topo tout de même, sur l’histoire de Monsterz qui, transférée au Japon, ne perd rien de son potentiel. Un garçon peine à marcher, son pied comme gagné de gangrène, trainé par sa mère sous la pluie. Ses yeux bandés, certainement, ne lui facilitent pas la tâche. D’ailleurs, lorsque sa mère le nourrit, elle guide ses mains plutôt que de dévoiler son regard, qu’il n’aura le droit de porter que sur le manga qu’elle lui offre. C’est à cet instant que le père entre en scène, bat sa femme pour lui faire comprendre, par la force, qu’il ne sert à rien de le fuir et qu’elle doit abandonner cet enfant monstrueux. Le gamin dirige alors son regard irisé de bleu vers son père, et le contraint à se tordre lui-même le cou en pleine rue. La mère, n’y tenant plus, tente alors d’étrangler l’enfant, mais celui-ci parvient à s’enfuir. Vingt ans plus tard, cet hypnotiseur de masse (Tatsuya Fujiwara) dont la jambe blessée a presque entièrement disparu, se sert de son pouvoir pour subvenir à ses moyens. Lorsqu’il croise le chemin pépère de Shuichi Tanaka (Takayuki Yamada), simple livreur insensible à sa persuasion, il devient obsédé par l’idée d’éliminer ce perturbateur de son monde. Or Shuichi, renversé par une voiture ou poignardé, semble doté d’une incroyable capacité de régénération...
Monsterz signe sa première erreur au moment même où Tatsuya Fujiwara porte ses yeux sur Takayuki Yamada. Alors que Kyu-nam, homologue coréen de Shuichi, était tout de même sensible au pouvoir de son nemesis, bien que de façon limitée, Shuichi lui, y est totalement imperméable. Kyu-nam devait résister, lutter pour se libérer de l’emprise de « l’homme », alors que Shuichi se contente d’être là. Difficile dés lors d’ancrer Monsterz dans l’affirmation d’une résilience qui serait volontaire, désir projeté de vivre opposé à celui de détruire. Shuichi incarne une survivance étrangement résignée, résistance passive qui peine à s’opposer à la colère bornée surjouée par Fujiwara. Et entraîne un déséquilibre entre l’acharnement pathétique qui entoure la figure négative du film, et la bonhommie de ce héros malgré lui. Alors que Haunters réussissait à conjuguer violence réelle et de cartoon, chaque incartade humoristique de Monsterz sonne faux, désincarnée. Les caractéristiques des protagonistes qui entourent Shuichi, contaminés par sa transparence, ne servent à rien : pas plus une homosexualité exubérante qu’une passion pour la cartographie... même la pseudo-résistance d’un flic plus ou moins père d’adoption, mutant d’une autre génération, ne sert à rien – presque réfutée, finalement, en bout de course.
A force de vouloir s’appliquer à créer son propre film, à ne pas singer son modèle, Nakata affaiblit sa cohérence. Sa volonté de faire de Monsterz un film plus ancré dans l’humain que dans l’action, transforme une œuvre hybride, initialement triste et drôle, emplie de rage et de vie, en mélodrame larmoyant au potentiel sans cesse renié. Shuichi n’y affirme aucune véritable force de vivre, étouffe l’ensemble des énergies – même si l’on aurait aimé qu’il parvienne aussi à canaliser Tatsuya Fujiwara, aussi exaspérant que dans TV Show – et chaque particularité, chaque variation introduite par Nakata se révèle inutile. Il ne suffit pas de placer le premier tome de la réédition d’Akira dans les mains d’un mutant manipulateur, de souligner implicitement les similitudes entre ce combat et celui de Tetsuo et Kaneda, pour se réapproprier une mythologie ; il convient avant tout de comprendre ses ressorts et rouages, ses équilibres. Nakata parvient tout de même à offrir quelques images spectaculaires, mais s’en revient sans cesse à la figure de la mêlée, employée pour immobiliser Shuichi Tanaka au cœur de foules grandissantes : comme s’il était bloqué dans son élan de mise en scène, incapable de concrétiser le potentiel narratif de Haunters par ses propres moyens - redondance qui achève d’exprimer l’impuissance contradictoire de ce Monsterz.
Présenté hors-compétition en première mondiale au cours de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2014), dans le cadre d’un hommage rendu à Hideo Nakata (dont on se demande, étant donnée la teneur du discours prononcé par Lionel Chouchan, pourquoi il n’a pas eu lieu lors du Festival de Gerardmer), Monsterz sortira au Japon le 30 mai 2014.
A relire : nos rencontres avec Hideo Nakata, l’une datant de 2003, l’autre de 2005.
[1] Deux autres films seulement ont été présentés, Dark Water et Chatroom, alors qu’on aurait tant aimé pouvoir découvrir quelques inédits.






