Na Hong-jin
« Don’t believe the Hype [1] » rappait Flavor Flav, le joker à horloge de Public Enemy, il y a quelques années. The Chaser, le film coréen dont on parle tant, vient contredire cette affirmation. Si vous aimez les thrillers qui vous rivent à votre fauteuil, ce film est pour vous. Nous avons eu la chance de rencontrer Na Hong-jin pour en apprendre un peu plus sur la réalisation de son film et les sujets qu’il voulait aborder.
Sancho : The Chaser est principalement un thriller, mais il mélange également d’autres genres comme la comédie, voire peut-être même la satire sociale. Pourquoi un tel mélange ?
Na Hong-jin : A l’origine du projet, il était très important pour moi de critiquer la société car il s’agissait d’un drame humain. Puis petit à petit, mon film est devenu un thriller en raison de l’histoire. Quant à l’aspect comique, il s’agit d’une attente du public coréen.
Comment avez-vous organisé le travail avec vos acteurs ?
Lors de la pré-production, j’ai eu beaucoup de discussions et de débats avec eux au sujet des personnages. Nous avions chacun notre propre compréhension du film, mais ils se sont appropriés les personnages pour finir par créer ce que je désirais. Lors du tournage, nous avons très peu parlé, je ne les ai pratiquement pas dirigés. Par contre, j’ai plus porté mon attention sur les lieux, les décors et les acteurs secondaires. J’ai voulu créer l’atmosphère la plus réaliste possible, afin que chacun puisse déployer ses talents d’acteur dans le contexte le plus naturel possible. Le plus important pour moi était de capturer l’émotion juste des acteurs dans chaque séquence. Ce n’était pas de capturer des gestes et mouvements très beaux, ou très cools.
The Chaser se déroule principalement dans un quartier précis de Séoul. Pourquoi avez-vous choisi ce lieu ?
On peut diviser Séoul en deux parties, la rive nord et la rive sud. J’ai tourné dans une zone de la partie nord où il existe des quartiers, pas vraiment anciens bien sûr, mais où l’on sent que le temps a passé. Le sud est ultramoderne, high-tech. Dans le film, je voulais que l’on puisse ressentir l’aspect du temps, car c’est quelque chose qui devient de plus en plus rare à Séoul. Je ne voulais pas que l’on aperçoive les gros blocs HLM que l’on voit souvent sur écran. Je souhaitais que l’on ressente les différentes catégories de pavillon : ceux appartenant à des familles riches, mais aussi ceux des familles modestes.
Le personnage principal, l’ex-flic devenu proxénète, connaît une évolution paradoxale au cours du film : il s’humanise avant de se rapprocher finalement, du comportement du tueur. Que vouliez-vous exprimer à travers ce personnage ?
Au début, je comptais terminer mon film sur la jeune femme qui se faisait tuer parce que c’est ce qui s’est passé dans la réalité. En même temps, j’ai quand même réfléchi à notre société qui interdit la vengeance individuelle. Ce sujet est bien sûr tabou dans notre société. Je me suis demandé quels sentiments pouvait éprouver une personne qui se sent trahie par le système qui est censé la "venger" à travers la justice. Qu’est-ce qu’il aurait le plus envie de faire. J’avais le désir de montrer des personnages qui auraient franchi la frontière du mal absolu ou pas. Je pense que l’on peut le comprendre à la fin du film, quand l’ex-flic est sur le point de tuer le meurtrier. Même si c’est une chose inadmissible, je pense que l’on peut adhérer à ce qu’il ressent.
Le film n’est tendre ni avec la police, ni avec la classe politique. Est-ce votre vision et est-elle partagée par les coréens ?
Je ne sais pas si c’est une vision qui est partagée par tous les habitants de Séoul. Mais selon le nombre de spectateurs qui sont allés voir mon film en Corée, c’est à dire un peu plus de 5 millions de personnes, peut-être qu’ils y adhérent car la ville compte 10 millions d’habitants. En plus, comme mon film a été interdit aux moins de 18 ans, c’est un nombre important. Mais je ne saurai pas dire s’il représente le point de vue de tours les coréens et de tous les séoulites. Le film est bien sûr une fiction, mais pour moi il a une portée symbolique. Il questionne l’autorité, et met sur le devant de la scène la question de savoir si la sécurité publique n’est pas amoindrie au détriment de la protection du pouvoir politique.
Remerciement à Céline Petit du Public Système.
Interview réalisée par Kizushii en collaboration avec Aka6T lors du 11 Festival du film asiatique de Deauville.
Photos : Kizushii.
[1] "Ne croyez pas le matraquage médiatique."


