Naked Of Defenses
Re-naissance.
Véritable pépinière à talent, le PIA Film Festival (PFF), qui se réclame le plus ancien de l’archipel, a depuis le début des années 80 servi de catalyseur à l’éclosion d’une certaine frange du cinéma japonais contemporain. Fervent défenseur et promoteur des jishu eiga [1] (films auto-produits), nombres de signatures aujourd’hui reconnues, telles que Sogo Ishii, Kiyoshi Kurosawa, Ryôsuke Hashiguchi ou encore Shinya Tsukamoto y ont été détectées. Nouveau venu sur la scène indie, Masahide Ichii continue sur la lancée de Dog Days Dream, un premier métrage déjà primé en 2006, témoignant avec Naked of Defenses d’un engagement vers un cinéma personnel au langage inventif.
Perdue dans la campagne du centre du Japon, une petite usine de pièces détachées en matière plastique vit au rythme mécanique et quotidien de ses employés. Ritsuko (Ayako Moriya) se voit chargée de superviser Chinatsu (Sanae Konno), la nouvelle venue, déjà enceinte de plusieurs mois. Mais le bonheur qui comble cette dernière et transpire d’un sourire plein de fraîcheur ravive la mémoire d’un douloureux événement chez Ritsuko, qui prend alors peu à peu conscience de la désolation affective dans laquelle elle mène sa vie.
Filmé avec une économie de moyens évidente, Naked of Defenses n’en témoigne pas moins d’un engagement total envers le cinéma, quitte à tomber dans une forme de simplisme dans sa tentative courageuse de démonstration. Car il s’agit bien d’une démonstration, en forme de véritable déclaration d’amour, adressée à la primauté de la vie contre la dépression et l’aliénation sociale qui guette nos sociétés post-modernes. A travers le traumatisme vécu jadis par Ritsuko qui resurgit au contact de sa collègue, Ichii réalise un film sur la résilience [2] dont l’apothéose se conclut par une scène choc, emblématique des défauts tout autant que des qualités de son œuvre. Par sa simplicité même il touche le cœur de nos émotions, à tel point qu’il en devient gênant de souligner sa naïveté anachronique, face à notre époque de cynisme généralisé. Mais sa conviction l’emporte finalement car il aura su, tout au long de son parcours, nous séduire par ses ruptures de tons et ses silences elliptiques.
En effet, Ichii se sert admirablement de l’austérité de ses décors, des mouvements mécaniques des machines et de ses employés pour figurer la monotonie de la vie dans laquelle Ritsuko semble vivre, anesthésiée de tout rapport émotif à l’autre. Par un sens du détail et du rythme, le cinéaste parvient pourtant à traduire les changements émotionnels de son actrice au contact de la banalité du quotidien, dont le moindre “non événement” est prétexte à amplifier son mal-être. La confrontation des contraires, autant dans la psychologie des deux personnages que dans leur cadre de vie familial respectif, à l’image des maris de chaque épouse, provoque des situations traitées avec un humour décalé, tout en subtilité et en retenue. Usant d’une approche quasi documentaire, outre le mélodramatique final, Ichii alterne plans larges fixes et plans serrés avec bonheur, soulignant par un sens du montage, les non dits qui font la force d’un cinéma anti-spectaculaire.
Usant aussi de métaphores topographiques, telle que la bifurcation des routes qu’empruntent les deux femmes en rentrant chez elles, le cinéaste amplifie le fossé qui se creuse entre la douleur vécue par Ritsuko et le bonheur habitant Chinatsu malgré ses tendres maladresses. La force du cinéma de Ichii réside dans la primauté de l’image au détriment du texte, pour traduire avec sensibilité les émotions de ses personnages. D’un simple frisbee atterrissant mystérieusement dans un parc, il provoque une émotion palpable, à travers l’absurdité d’un rire. Alors que l’image d’une araignée finissant par mourir d’étouffement, résonne comme le prolongement de la névrose dépressive qui s’empare peu à peu de Ritsuko.
Naked of Defenses, malgré son simplisme didactique évident, démontre pourtant une volonté quasi clinique de mise à nu de ses personnages sans jamais céder à la facilité de l’expressivité du jeu d’acteur. D’un naturalisme et d’une retenue émotive traduisant autant la difficulté d’exprimer ses sentiments que de dépasser ses propres traumatismes psychologiques, il parvient à l’universalité par la force seule de sa mise en scène, dépouillée de tout artifice. Une preuve supplémentaire de la créativité d’un cinéma japonais en marge des feux de la rampe.
Naked of Defenses a été diffusé lors de la dernière édition du Festival du film asiatique de Deauville (2009).
[1] A ne pas confondre avec les “dokuritsu” ou “films indépendants”, produits en dehors du système des studios mais dont les financements peuvent provenir de sources diverses.
[2] Concept développé en France par l’ethnologue Boris Cyrulnik.