Necromancer
1996. Scandale en Thaïlande. Jo Danchang, un trafiquant de drogue, est tué par le policier Salang Bunnag, après que le dealer et cinq de ses complices se soient rendus. Ils sont menottés et emmenés dans une ferme en pleine lagune. Peu après, des coups de feu retentissent et les corps des six malfrats sont retrouvés. L’enquête a plus ou moins été étouffée.
2005. Le film Necromancer, s’inspirant vaguement de ce fait divers, sort en salles dans ce même pays. C’est la première œuvre de Piyapan Choopetch, qui eût l’idée de ce long métrage alors que trois ans auparavant, il était moine - et vous verrez que cela n’a rien d’étranger à l’histoire. N’ayant pas fait d’études cinématographiques mais d’électronique, il apprit le métier sur le tas, en observant d’autres réalisateurs sur les plateaux alors qu’il était chargé de la post-production.
Le film débute par l’assaut de nuit d’une maison dans les marais. Des voleurs sont tués par des policiers depuis l’extérieur. Deux agents pénètrent la bâtisse et un des hors-la-loi se relève, abat les hommes en uniforme et s’enfuit. Un autre policier le traque jusque dans une ferme. Avant d’entrer, l’officier met une plaque de métal au bout d’une planche pendant que l’individu à l’intérieur est en dévotion et se rend invisible. Alors que le policier va entrer, un groupe d’hommes armés arrivent au loin. A l’intérieur, l’agent, immobile, attend, avant de frapper dans le vide et de faire réapparaître, l’espace d’un contact avec l’artefact, le voleur. A l’extérieur, deux inspecteurs disent à un sergent de garder l’entrée. Une fois les deux hommes à l’intérieur, des coups de feu résonnent dans la maison. Générique - très classe, bien qu’un peu court à mon goût.
Quelques années plus tard, la surpopulation carcérale atteignant des records, beaucoup de prisonniers sont transférés. L’un d’entre eux accapare toute l’attention, son transport s’effectuant sous très haute surveillance, rendant les agents qui en sont chargés très nerveux. Son escorte est des plus atypique. Il est maintenu grâce à un carcan, les yeux bandés, enchaîné à quatre moines Brahmin qui psalmodient sans cesse des mantras. Malgré le fait qu’il ne puisse voir, il se tourne vers une forme sombre et humaine qu’il semble être le seul à percevoir. Celle-ci s’en va, comme si le prisonnier venait de lui dire de partir. Il est mis dans un car, en compagnie des moines et de policiers, direction la prison. Le nécromancien est alors enfermé dans une cellule dont les murs sont recouverts de dessins ésotériques. L’imposante porte est lourdement cadenassée et une formule magique y est apposée. Bien entendu, cette cage ne retiendra pas longtemps Itti (Chatchai Plengpanich), qui s’échappera pour assouvir ses noirs desseins. Le jeune inspecteur Santi (Puthichai Amarttayakul) sera chargé de le ramener en prison ; mission qu’il voudra remplir, coûte que coûte.
Si vous n’avez jamais entendu parler, comme c’était mon cas, de Vedas, Yantras, de talismans Takrud, d’habits Pra-jead ou encore de dagues Mead Mhor [1], ne vous en faîtes pas, vous pourrez suivre le film. Car si celui-ci est ancré dans les croyances, encore très présentes en Thaïlande, notamment dans le sud du pays, (lieu de la majeure partie du film), le fond est des plus commun : la lutte du Bien contre le Mal. Et quelle lutte ! Malgré le thème, tout l’intérêt du film, outre son impressionnante exposition du personnage du nécromancien et sa mise en scène à l’avenant, est que les personnages n’ont rien de manichéen, loin de là. Itti, en dehors des scènes où il utilise ses pouvoirs vengeurs, est présenté comme un être rejeté, seul, presque touchant ; n’ayant réussi à trouver comme ultime refuge que la nécromancie. Le jeune policier, lui, est décrit comme quelqu’un voulant à tout prix faire son travail, allant au bout, jusqu’à flirter - et plus si affinités - avec ce qu’il pourchasse.
C’est une plongée dans un monde occulte - que le réalisateur a côtoyé durant son passé monastique -, où le quotidien des policiers est fait de fusillades et d’hommes recouverts de tatouages et autres talismans les rendant insensibles aux balles. La violence y est brute de décoffrage et les sorts usités vraiment cruels et douloureux. La mise en scène est inventive - le gunfight du auvent - et prend son temps (ça fait plaisir et du bien de voir un film récent évitant le cut/cut/cut à la manière des clips MTV dans les scènes d’action). Le scénario, habile et réservant son lot de surprises, débouchera sur un combat final homérique, couleur sang, menant le spectateur a un constat fataliste.
Bien sûr, le film n’est pas parfait, notamment au niveau des SFX, dont certains sont quelques peu limites, mais le nombre de qualités fait vite oublier ces défauts, tant le mélange des genres visités, le polar noir hard-boiled et le film d’horreur/magie noire, est cohérent et jouissif. C’est pour cela que définir ce film n’est pas aisé, particulièrement dans la production thaïlandaise actuelle, et si je devais faire un rapprochement, ce serait avec les films de Wes Craven : The Serpent & The Rainbow [2], pour le côté documentaire - et cela n’a rien de péjoratif - sur les pratiques occultes encore très répandues aujourd’hui en Thaïlande et le Angel Heart d’Alan Parker, pour le côté enquête ésotérique. Pour un premier film, c’est plus que prometteur. Un cinéaste à surveiller dans l’avenir.
Voilà, en espérant vous avoir fait partager mon enthousiasme à propos de ce film et donner à quelques uns l’envie de le découvrir. A l’instar de Piyapan Choopetch, mais à un moindre niveau, ce fût une première pour moi aussi et j’espère qu’il y en aura d’autres. Alors comme dirait un vieil ami, « Who wants some ? »
Le DVD de Necromancer est disponible en zone All italienne chez Millenium Storm.
[1] Pour plus de renseignements et si vous lisez l’anglais, je vous dirige vers le site officiel, section « vedas » : http://www.necromancerthemovie.com.
[2] The Serpent & The Rainbow est à la base un livre de Wade Davis, très instructif pour ceux qui s’intéressent de près ou de loin au vaudou.





