Next Door
John vit seul dans son appartement depuis que sa petite amie, Ingrid, l’a quitté. Un jour, sa voisine de pallier, Anne, lui demande de l’aide pour déplacer un meuble. Pénétrant dans l’appartement de la jeune femme, il découvre un abondant capharnaüm où le mobilier, les livres, les vêtements et autres détritus se disputent l’espace avec d’imposantes réserves de nourriture, et fait la connaissance de sa provocante colocataire, Kim. S’il s’étonne de n’avoir jamais rencontré ces étranges voisines, celles-ci semblent tout connaître de sa récente rupture, et l’encouragent à prendre un verre avec elles. Exaspéré par le jeu, manipulateur et ouvertement sexuel des deux filles, John s’en retourne chez lui. Mais Anne revient à la charge, lui demande de surveiller Kim le temps d’une course. Pour convaincre le réticent, elle lui raconte comment son prédécesseur en ces murs a agressé sa sœur, l’enfermant chez lui pendant deux jours pour abuser d’elle, ce qui explique qu’elle vive cloitrée dans l’appartement voisin. John accepte et se retrouve piégé par Kim dans un dédale de pièces et couloirs, entraîné bien malgré lui jusqu’à une confrontation qui se transforme en un violent jeu sexuel à la force des poings. Lorsqu’il revient chez lui et contemple son reflet, meurtri et ensanglanté, dans le miroir, la perception qu’a John de son quotidien commence à se déformer...
Next Door est le troisième film de Pål Sletaune, l’un des plus estimés réalisateurs norvégiens contemporains, auréolé du Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes en 1997 pour son opera prima Junk Mail, dont on dit qu’il aurait refusé de porter à l’écran le scénario d’American Beauty avant que Sam Mendes se l’approprie. Sur la base d’un scénario qu’il a lui-même écrit, Sletaune construit un dérangeant dérapage entre le mensonge et la réalité, d’une violence telle que Next Door fait partie des rares films norvégiens à avoir connu une interdiction aux moins de 18 ans lors de sa sortie nationale.
Il faut bien avouer que le pivot du film, la confrontation entre John et Kim, interprétée par la troublante Julia Schacht, dépeint une sexualité perverse à même de chambouler spectateurs et censeurs. Construite par le fantasme (le récit par Kim d’un ménage à quatre, joué avec force conviction) et la provocation (ses jambes écartées pour mieux exposer son onanisme racoleur), elle débouche sur un accouplement au cours duquel John, saisi par une première claque portée par Kim sur son visage, rendra chacun de ses coups. Lèvres fendues, nez brisé, perte de conscience... Dans une pièce au mobilier clinique et nu, en opposition avec le trop plein du reste d’un appartement labyrinthique, Sletaune glisse de l’un à l’autre des interlocuteurs avant de les transformer en amants bestiaux, observe la frustration de John, qu’il renforce en exacerbant l’illustration sonore improvisée par Kim de sa narration d’un rapport violent (à l’aide du va et vient grinçant d’une table), et mélange passion et colère en filmant la surprise sur les visages des amants, lorsque chacun porte un coup à l’autre, s’évanouit et revient, captif d’émotions et désirs contradictoires.
Tout l’enjeu de Next Door est condensé dans ces quelques minutes éprouvantes, pourtant le film ne s’y résume pas. En amont et en aval de ce traumatisme, Sletaune se joue avec talent des espaces et des dimensions d’un appartement improbable, rappelant certains illogismes architecturaux d’Argento. Il dissimule l’antre d’Anne et Kim derrière le coude d’un couloir imaginaire, parent proche du couloir quasi-opaque de Lost Highway ; incarne dans le désordre, les portes fermées et les couloirs interminables la psyché fragmentée de John dont on a tôt fait d’apercevoir les éclats, à l’aide de flashbacks réinterprétés, au terme de cette redoutable et charnelle amorce de rupture. Onirique et entêtant, Next Door condense en quelques 75 minutes, exemplaires de maîtrise de l’espace, narratif, visuel et psychologique occupé et déstructuré par sa passion meurtrière, l’une des plus impressionnantes projection de culpabilité que le cinéma récent ai eu le courage de mettre en images.
Next Door est disponible en DVD français chez Studio Canal, qui s’est pris - à juste titre - d’intérêt pour le cinéma norvégien si l’on en croît le trailer reel livré en supplément (Manhunt, Cold Prey et sa suite, Exit...).




