Oira Sukeban
Travelos, nichons mitrailleurs, écolières, héroïnes masquées... le bonheur selon Go Nagai !
Auteur culte de l’eroto-comédie, le manga-ka Go Nagai a connu ces dernières années un certain regain d’intérêt. Mais force est de constater qu’entre l’adaptation soft et kawaï de Cutie Honey (2004) par Hideaki Anno qui en expurgeait le lesbianisme sous-jacent, et l’amateurisme de la série bien plus explicite des Kekko Kamen (déjà six versions ciné), l’univers de Go Nagai n’a que rarement connu adaptation à la hauteur de son génie coquin et parodique.
Sukeban est un garçon qui a un sérieux problème d’identité. Avec sa gouaille et son comportement bagarreur, il est pourtant doté d’un visage de donzelle, ce qui lui cause bien des soucis ; entre moqueries de ses camarades, et renvoi du lycée pour cause de violences, son bosozoku (membre d’un gang de jeunes motards) de père, lui-même troublé par l’ambivalence du jouvenceau, ne sait plus que faire. Il décide finalement de l’inscrire dans un lycée pour jeunes filles, le travestissant afin qu’il passe inaperçu. Mais Sukeban n’est pas au bout de ses peines ; devenant l’objet de jalousies au sein de l’institution, il va provoquer une véritable guerre de clans.
L’acteur-réalisateur Noboru Iguchi, sévissant par ailleurs dans le milieu de l’AV (adult video), et auteur de récentes adaptations remarquées (Nekome Kozô, Manji, Madara no shôjo, l’un des segments du Kazuo Umezu’s Horror Theater hexalogy), s’attaque ici à l’adaptation d’une autre série culte du maître Go Nagai, à l’ambiguïté sexuelle audacieuse. Oira Sukeban [1] est, à l’instar de nombreuses comédies érotiques, telle que son aînée Harenchi Gakuen (L’école impudique), série culte datant de 1968 et qui connaîtra moultes adaptations cinématographiques, située dans le cadre propice d’un lycée de jeunes filles. Ici l’accent est mis sur le contraste entre les manières du jeune garçon et son aspect pour le moins efféminé, source de quiproquo et gags en tous genres, fleurtant bon avec le troisième sexe, à l’image du jeu de mots contenu dans le titre de l’oeuvre [2]. Précurseur en la matière, Go Nagai fût à l’époque, en ces temps d’agitation politique et sociale, le premier auteur a avoir osé introduire des allusions sexuelles dans une histoire destinée aux enfants. Son style et son univers particulier s’avérant délicat à adapter tant la frontière est poreuse entre érotisme guilleret et vulgarité outrancière, sans oublier une bonne dose de violence.
Noboru Iguchi, en inconditionnel et amoureux du maître, y voit aussi l’occasion d’y faire admirer son propre univers déjanté, qui se révélera à mi-parcours, de façon surprenante. Il débute par un générique hommage-parodie aux films Sukeban de la Toei des années 70 avec sa musique groovy et ses arrêts sur image percutants, signe qu’il place son divertissement dans le sillon d’une certaine tradition du cinéma de genre pleinement assumée. Sa mise en scène est soignée et dépasse de loin l’amateurisme d’un Takafumi Nagamine et de ses Kekko Kamen, ou de son Maboroshi panti (1991). D’autant qu’Oira Sukeban se révèle au fur et à mesure être un véritable film d’action, même si le coup de pied tendu est avant tout là pour dévoiler le fin tissu en coton blanc d’une culotte d’écolière, ou les bas colorés du gang des Bas-Collants.
L’action qui émaille ce joyeux pot-pourri fétichiste oscille entre le ridicule sexy, les poses et la conviction d’une idoru de l’AV [3] qui se voit pour une fois proposer un autre scénario que celui d’une position horizontale ou d’un dégorgeage de poireau, et le grotesque de combats aux armes les plus folles issues de l’imagination débridée de l’autodidacte et génial créateur d’effets spéciaux Yoshihiro Nishimura (A Larva to Love, Suicide Club, Strange Circus, Meatball Machine...). Ce dernier nous gratifie de quelques scènes cultes telles que l’affrontement entre les moignons mitraillettes ou les nichons fusils-mitrailleurs (clin d’oeil à Goldmember !). Sur un rythme soutenu, les gags les plus graveleux se succèdent, un brin scato - les flatulences, sans détrôner l’empereur Alvaro Vitali, deviennent une arme efficace -, passant en revue toutes les formes de fétichisme du pays du soleil levant, du lolicon (fétichisme de la lolita), au travestissement, au SM, au lesbianisme, aux catfights, sans oublier les Sumo Vixens (femmes sumo), ou les moines guerrières, et font de cet ovni, une nouvelle perle déjantée à classer parmi les films pédagogiques sur le fétichisme nippon.
Même si Oira Sukeban manque souvent de légèreté - en même temps ce n’est pas ce qu’on lui demande -, les situations et quiproquo dus à la condition de Sukeban traduisent aussi la marginalité d’un personnage inadapté et en quête d’identité. Ses manières rustres contrastent avec la douceur de son visage et ses lèvres onctueuses, l’empêchant de se faire respecter parmi les garçons, et agissant comme un attrait vis à vis du sexe opposé. On retrouve ainsi à mots-couvert la délicate ambiguïté régnant dans la culture ado où l’homosexualité sous-jacente est si présente, sans oublier le culte du Bishônen [4].
Cette comédie trans-genre dont le final se clôture par une habile pirouette pleine de malice et d’hormones, s’avère fort divertissante et imaginative compte tenu des moyens dont disposait l’auteur pour recréer de façon convaincante l’univers de Go Nagai. Le choix d’Asami, jeune idoru de l’AV, s’avère payant tant la jeune actrice se montre investie, surtout dans les scènes d’action fort nombreuses, mimant avec bonheur le freluquet aux manières de yakuza ; sans oublier le fidèle compère de l’auteur, l’acteur-réalisateur d’AV Demo Tanaka (A Larva to Love, Dekamatsuri), en père du jouvanceau et chef de bande. Noboru Iguchi prenant le contre-pied de son prédécesseur Teruyoshi Ishii (Kuchisake onna) auteur de la première adaptation du personnage, dans le sympathique Oira sukeban kessen ! pansutô (1992). En effet, ce dernier avait choisi le tout jeune Shinji Takeda (The Taste of Tea, Gohatto), grimé pour l’occasion en petite écolière (que ne faut-il pas faire pour percer dans le monde cruel de l’entertainement nippon !) dans le rôle titre, avec ni plus ni moins que maître Nagai en personne, venu prêter son nom au générique.
Pour ceux qui ne s’attendrait à voir en Oira Sukeban qu’une comédie érotique, un avertissement prévaut. Le cinéaste a cru bon de faire prendre un virage sanglant à mi-parcours à son métrage. En effet, après avoir gentiment batifolé avec ses écolières perverses le temps d’un cours d’humiliation, les jalousies provoquées par Sukeban déclenchent une guerre sans merci virant parfois au règlement de compte gore, certes grotesque et absurde mais bien réel, sans compter que les effets spéciaux réussis de Nishimura en accentuent l’impact.
Avec Oira Sukeban, Noboru Iguchi se montre digne du géniteur d’une des oeuvres les plus osées de son auteur, alliant avec brio l’ero-gag à l’ero-guro, pour le plus grand bonheur de nos pupilles en mal de ciné déjanté et pleinement assumé. Alors si vous ne savez plus trop à quels chromosomes vous fier, n’attendez pas pour goûter à ce plaisir coquin !
Disponible en DVD Japon chez King Record (KIBF-361), et sans sous-titres.
[1] OEuvre parue dans le Shûkan Shônen Sunday (édité par Shogakukan) du 4 août 1974 au 18 janvier 1976.
[2] “Oira” est une expression masculine vulgaire signifiant “je suis” en dialecte campagnard, alors que “sukeban”, contraction de “suke” (femelle) et “bancho” (chef de bande), désigne une jeune délinquante.
[3] Née en 1985, Asami est une jeune idoru de l’AV ayant déjà plus d’une vingtaine de films à son actif.
[4] Terme désignant de jeunes éphèbes, c’est un concept esthétique propre à la culture japonaise, représentant l’idéel de beauté chez un jeune homme.



