Opera Jawa
La belle Siti est la femme de Setio, potier dans un petit village indonésien. Ils étaient auparavant tous deux danseurs, interprétant le couple Sita / Rama de la légende du Ramanaya. Une légende qui déborde aujourd’hui, des contes narrés vers le monde réel, lorsque Ludiro, un riche boucher qui contrôle les activités et le commerce du village, décide de séduire Siti, tel que le faisait le Roi Ravana dans la légende du Ramanaya. Commence alors un combat contre le désir, dont le siège est l’innocence troublée de Siti, face à un Rama brisé par la faillite inexorable de son commerce...
Jawa est le nom de la région d’Indonésie dans laquelle le réalisateur Garin Nugroho situe l’action de son étrange comédie musicale, à base de gamelan [1] et de danse à la fois traditionnelle et contemporaine, sur fond de désirs légendaires... Opera Jawa est un film pour le moins déroutant, à la fois très chaud, foncièrement érotique, et d’une froideur relative. Son érotisme, le film le tire autant de sa magnifique héroïne - Artika Sari Devi a d’ailleurs reçu le prix de la Meilleure interprétation féminine lors de la présentation en compétition du film au dernier Festival des 3 Continents - que de la prestation totalement corporelle de l’interprète du serpent séducteur, Ludiro, des mises en scènes dansées et de la palette de couleurs retenue. Sa froideur, Opera Jawa l’hérite de la difficulté d’accès du gamelan, musique syncopée et quelque peu irritante pour une oreille inavertie, mais aussi, paradoxalement, de son héroïne. Peut-être son nom - « Artika » - n’est-il pas un hasard, car la beauté de l’interprète de Siti/Sita est extrêmement froide, distante, insaisissable, lorsque Garin Nugroho l’éloigne de ses doutes charnels.
Les meilleurs scènes d’Opera Jawa sont celles, torrides sans pour autant dévoiler quoi que ce soit, qui confrontent Siti à Ludiro. Alors que la symbolique du film est à plusieurs reprises insaisissable - les « chapeaux » de paille qui incarnent l’irruption du doute et du désir chez l’héroïne -, ces scènes sont pour leur part extrèmement explicites, et l’amusicalité particulière des chants et du gamelan leur confère une inertie, une tension sexuelle palpable qu’incarne parfaitement le couple d’acteurs à l’écran. Au cours de la scène-clef du film, Siti et Ludiro sont même rejoints par un Setio qui ne se doute pas que le serpent est entré dans la chambre conjugale, et se dissimule dans l’intimité des jambes de sa femme... Alors que la danse qui porte le film, plus expression corporelle qu’autre chose, paraît globalement trop conceptuelle pour offrir une narration entraînante, elle est ici parfaitement utilisée pour exprimer les doutes de Siti face à Setio qui se refuse, alors que Ludiro lui, lui est si explicitement offert...
En dépit de ces moments remarquables, Opera Jawa reste un fim trop "étranger", trop réfléchi sur le plan de l’art contemporain, pour véritablement toucher les spectateurs autrement que par sa beauté plastique. Sa démarche reste toutefois très intéressante, de confronter modernité et tradition à tant de niveaux : dans la narration en deux couches de la légende du Ramanaya, dans la confrontation du gamelan et de la danse moderne, dans les changements de personnalité de son héroïne, dans les conflits sociaux, intemporels, qui déchirent au bout du compte le village du film. Opera Jawa est un concept ; comme beaucoup de concepts, il nécessite une symbiose particulière avec le spectateur, pour que celui-ci puisse y puiser toute l’émotion de l’inteprétation et de la mise en scène. Néophyte pour ma part, j’ai eu l’impression d’être maintenu à distance par la musique et cette femme, magnifique et pourtant involontairement hautaine dans son incarnation d’une certaine perfection.
Opera Jawa faisait partie de la sélection officielle en compétition de la 28ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes).
[1] Un gamelan est un ensemble instrumental traditionnel indonésien composé principalement de percussions : gongs, métallophones, xylophones, tambours, cymbales, flûtes..





