Pandora’s Box
Marivaudages au sanatorium.
Afin de célébrer le centenaire de la naissance de l’un des piliers majeurs de la littérature Japonaise du vingtième siècle, l’écrivain Osamu Dazai [1], quatre adaptations cinématographiques de ses œuvres ont été produites cette année [2]. Loin du désespoir tragique qui hante La déchéance d’un homme, considéré comme le chef d’œuvre de son auteur, La Boîte de Pandore détonne. Court récit à caractère autobiographique, raconté sur le mode du journal intime, l’ouvrage présente un aspect plus méconnu de l’œuvre de l’un des plus grands suicidés de la littérature, et dont la légèreté et l’optimisme contrastent avec sa nature foncièrement pessimiste.
Révélé par ses courts-métrages, dont le premier Dolmen (1999) fût primé au festival d’Oberhausen, Masanori Tominaga fût estampillé meilleur cinéaste de sa génération par un panel de critiques nippons en 2003. Même s’il faut se méfier comme de la peste des labels de qualité décernés par des critiques, traduisant souvent le conformisme d’un cinéma en phase avec leurs propres attentes, Tominaga n’a pas manqué d’attirer l’attention lors d’un premier long plein de promesses avec The Pavillon Salamandre (2006), qui faisait preuve d’une grande fantaisie baignée d’étrange et de mystère, doublée d’un humour et d’un sens narratif originaux.
Avec ce troisième long-métrage, le cinéaste s’immerge au cœur de la vie d’un sanatorium géré par un groupe d’infirmières dévouées, peuplé de poètes, d’étudiants ou d’excentriques en tous genre trouvant dans ce havre perdu dans la luxuriante forêt nipponne, l’espoir d’un apaisement des douleurs de corps tuberculeux, autant que le renouveau de valeurs morales anéanties au lendemain de la défaite de la guerre. Pandora’s Box s’avère ainsi symptomatique du rapport qu’entretient la jeune génération, dont fait partie l’auteur, avec le traumatisme de la défaite de 1945 dont la mémoire s’estompe progressivement, et dont elle n’a de vécu que par procuration. Alors que les cinéastes nés avant la guerre continuent d’entretenir la mémoire douloureuse du plus grand traumatisme collectif de l’histoire contemporaine de l’archipel, à l’image du travail du regretté Kazuo Kuroki dans ses dernières années [3] ; Tominaga lui, évacue la gravité et la noirceur d’une époque pour n’en retenir qu’une maigre toile de fond, à peine esquissée par le son monocorde des nouvelles radiophoniques rythmant par intermittence la vie de la communauté isolée, et rappelant l’austérité supposée à laquelle sont censés se plier personnel et pensionnaires. De même les infirmières de Pandora’s Box sont de blanches colombes, à l’innocence enfantine à côté de la cruauté d’une Ayako Wakao dans L’Ange Rouge (1966). Ainsi, lors d’une séquence du prologue du film, la tuberculose du jeune Risuke (Shôta Sometani), jeune homme hyper sensible et délicat, affectueusement surnommé Hibari, vient de façon presque incongrue détourner l’attention de la famille prostrée de chagrin à l’écoute de la radio familiale diffusant la voix de l’Empereur annonçant la capitulation du Japon. Ceci comme pour mieux signifier la distance séparant le narrateur et ces malades aux cœurs tendres, des préoccupations de leurs contemporains. Tels l’artiste et le poète, ils vivent en marge, isolés du monde social, recréant une communauté au lien social et aux amitiés fortes à l’intérieure de ce foyer hors du temps et du monde.
C’est donc dans un monde coupé du réel que nous transporte Tominaga, dont les mouvements de caméra élégants découpent par petites touches des tranches de vie du quotidien rythmant la vie du sanatorium ; qui avec ses boiseries chaleureuses, ressemble davantage à un dojo zen qu’à un hôpital médical. Cette vie cadencée par la voix off de Risuke/Hibari, narrateur protagoniste et véritable double du cinéaste, alterne entre tensions mettant aux prises deux groupes de pensionnaires, “les alouettes” et “les cygnes”, amitié épistolaire entre Risuke et Tsukushi (Yôsuke Kubozuka), en passant par les jeux de séduction nonchalants qu’entretient Risuke avec deux infirmières aux caractères et aux charmes distincts : Take-san (Mieko Kawakami) et Mâbo (Riisa Naka). Chaque séquence apporte une preuve de la subtile légèreté et de la fraîcheur avec laquelle le cinéaste révèle les sentiments de ses personnages à l’image, par un emploi habile d’une lumière très travaillée ; même s’il fait parfois un usage trop explicatif de la musique du jazzman francophile Naruyoshi Kikuchi. Ainsi l’on perçoit rapidement qu’à l’instar de la magnifique lumière matinale qui enrobe le visage lumineux de ses infirmières aux blouses virginales et à la sensualité troublante, ce n’est point une réflexion sur l’époque ni sur la condition humaine au lendemain de la défaite qui préoccupe son auteur, mais bien la fugacité des sentiments amoureux et les femmes avec un grand F.
En effet, si la boîte de Pandore mérite d’être ouverte c’est avant tout pour sa profession de foie amoureuse teintée de fétichisme envers ces infirmières au charme plus ou moins discret et aux tempéraments bien trempés. Tominaga nous démontre à chaque plan, teinté d’un sentiment nostalgique, sa passion pour les femmes et les actrices, qu’il sublime littéralement sans jamais les dévoiler outre mesure, respectant toujours une certaine distance, à l’image de son héros, gage d’une noblesse d’âme chère aux Japonais pour qui le véritable amour ne se déclare pas.
Aux mimiques de la fantasque et coquette Mâbo arborant une dent en or et de petites boucles à la Shirley Temple, répond l’opulence et la droiture de Take-san, splendide Mieko Kawakami [4] qui signe ici ses débuts à l’écran. Cette dernière semble retenir les faveurs du cinéaste, qui hésite entre hommage à L’Empire des Sens traduisant son goût pour les hanches voluptueuses, lors de la scène insistante montrant cette dernière astiquer le parquet accroupie de dos ; et un hommage à peine déguisé à la Loulou de Pabst avec sa coupe garçonne qu’elle promène d’un air indolent. Cette image iconique se cristallisera un peu plus loin dans un plan montrant la plantureuse tirant nonchalamment sur une cigarette, dans une posture qui ne souffre aucun équivoque. Quant au héros incarné par le jeune Shôta Sometani, il paraît terne à leurs côtés, manquant parfois de relief dans son interprétation.
A côté de ces deux sublimes héroïnes, c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve Yoriko Dôguchi [5] - actrice culte révélée par Kiyoshi Kurosawa qui restera pour ma part l’éternelle pêcheuse d’huîtres de Tampopo - pour une courte apparition dans le rôle de la mère du héros. Les femmes sont ici les véritables objets du désir du cinéaste qui, dès qu’il s’en éloigne, devient banal et moins expressif. Loin de tout sentimentalisme, on pourrait même voir quelque chose d’« Iki » [6] dans l’attitude d’Hibari/Tominaga vis-à-vis du sentiment amoureux, dans la juste distance maintenue entre chacune, aux prises avec un malicieux jeu de séduction, à l’opposé de l’attitude vulgaire de Tsukushi n’hésitant pas à déclarer sa flamme à Take-san.
Malgré sa légèreté singulière et la beauté de ses plans, Pandora’s Box ne manque pas de se heurter à certains écueils. Non pas ceux du réalisme artificiel qui incommode souvent les transpositions historiques, compte tenu ici de l’atmosphère fantasque et irréelle assumée par l’auteur. Mais bien ceux qui affectent la plupart des adaptations littéraires et en particulier celles s’appuyant de façon conséquente sur leur texte original. Ce défaut qui fragilise le film vient d’une image qui parfois se borne à n’être qu’une illustration du texte. Or l’écriture filmique, de part la nature même de l’image, dont la perception et le ressenti propre à chaque individu s’oppose à la logique structurelle du langage écrit, demande à être repensée en tant que telle. Ainsi seulement elle acquiert sa puissance d’évocation et son autonomie pour se libérer de la langue écrite. Tominaga en est conscient, et tente de dépasser cette contrainte en s’appropriant les mots par le montage avec tantôt une certaine réussite, notamment lors de la séquence de la rencontre nocturne entre Hibari et Mâbo qui joue avec intelligence du rythme des mots et des dialogues dans un jeu de ping-pong plein d’humour et de fantaisie. Mais sur l’ensemble du film ces moments d’inventivité paraissent trop rares, finissant par tomber dans un conformisme narratif.
Même si l’auteur semble avoir perdu de son audace, la vision de Pandora’s Box nous en apprendra davantage sur le cinéaste et ses goûts pour la gente féminine que sur le Japon de l’immédiat après guerre. Ainsi le spectateur se laisse finalement attendrir par les sourires guillerets de ces blanches sirènes et leurs marivaudages innocents. L’on finit par oublier la gravité d’une situation et d’une maladie qui continue à faire des ravages ; et l’on se surprend un instant à vouloir s’abandonner dans les bras de ces oies blanches aux vertus curatives multiples. Le cœur risque certes d’en souffrir mais n’est-ce pas l’apanage de l’amour ? Tominaga l’a bien compris, alors souhaitons qu’en ces temps de morosité il continue à nous gratifier de portraits féminins aussi touchants de délicatesse et de sensualité, porteurs d’optimisme, d’espoir et de joie de vivre.
Site officiel du film (en Japonais) : www.pandoranohako.com
Pandora’s Box a été présenté hors compétition lors de la 31ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes).
[1] CF. Wikipédia.
[2] La Boîte de Pandore (Pandora no Hako, 2009) de Masanori Tominaga, La Femme de Villon (Viyon no tsuma, 2009) de Kichitaro Negishi, Soleil couchant (Shayô, 2009) de Masatoshi Akihara, La Déchéance d’un homme (Ningen shikkaku, sortie prévue en 2010) par Genjiro Arato.
[3] Voir sa trilogie sur la guerre avec The Youth of Kamiya Etsuko (2006), The Face of Jizo (2004) et A Boy’s Summer in 1945.
[4] Chanteuse et écrivain native d’Osaka, elle fût récompensée du 138ème prix Akutagawa pour son second roman Chichi to Ran.
[5] A noter qu’au même moment Tominaga en profitera pour réaliser le clip vidéo de la chanson « Jigoku Sensei » du groupe Soutaisei Riron. La mystérieuse infirmière fumant une cigarette n’étant autre que l’actrice Yoriko Dôguchi. Le clip fait d’un unique plan séquence utilisant un ralenti évocateur confirme l’attrait manifeste de l’auteur pour la grâce de ces femmes en uniformes. Lien vers le clip vidéo.
[6] CF. Wikipédia - Iki. Lire La structure de l’iki de Kuki Shûzô (PUF, 2004).






