Pandorum
L’Elysium dérive tranquillement dans l’immensité de l’espace, quand un homme se réveille d’une longue période d’hibernation. Le caporal Bower, s’extirpant péniblement du caisson, marqué de son nom, qui le conservait en suspension, peine à retrouver la mémoire. Quelles étaient sa mission et destination ? Alors que le lieutenant Payton s’éveille à son tour, celui-ci n’a pas plus de repère ou réponse ; et si les tatouages sur leurs bras, laisser-passer optique, rappellent aux compagnons d’infortune qu’ils devaient faire partie du cinquième tour de garde, où a bien pu passer la quatrième équipe, qui aurait du les réveiller ? Les réflexes des deux astronautes reprennent peu à peu le dessus, et leur permettent d’évaluer la condition du vaisseau, qui paraît désert : son réacteur nucléaire, défaillant, doit à tout prix être réinitialisé s’ils veulent survivre à leur amnésie. Privés de la majeure partie des ressources de l’Elysium, Payton et Bower sont piégés dans leur salle de contrôle. Marqué d’un signal radio, Bower s’engage alors dans les conduits du bâtiment sous les directions du lieutenant, et, frappé de claustrophobie, redoute d’être atteint de Pandorum, démence meurtrière provoquée par une suspension prolongée. Mais une autre crainte s’impose rapidement à lui, confirmée par quelques humains qui survivent dans le vaisseau depuis une durée indéterminée : celle de créatures monstrueuses, qui hantent les coursives monochromes de l’Elysium à leurs trousses...
C’est une habitude chez les cinéphiles autant que chez les attachés de presse : afin de présenter un film, on s’en réfère à un ou plusieurs autres qui lui ressemblent. Dans le cas de Pandorum, le lien établi, à moult reprises, entre le premier long métrage de Christian Alvart et deux films pourtant très différents l’un de l’autre, Event Horizon et The Descent, est, sinon inévitable, fort à propos. Pandorum mêle en effet la terreur psychologique qui naît dans le vaisseau fantôme du premier, à la claustrophobie et aux créatures, barbares et insaisissables, du second. Pourtant, restreindre le film à ce simple amalgame paraît quelque peu réducteur ; n’oubliez pas que Dan O’Bannon, à propos de son scénario pour Alien, vers lequel d’aucuns se retournent à la simple juxtaposition des mots « vaisseau » et « créature », déclarait : « Je n’ai volé Alien à personne. Je l’ai volé à tout le monde ! » Ce qui n’a jamais empêché le chef-d’œuvre de Ridley Scott d’asseoir sa propre personnalité.
Heureusement pour le spectateur, il en va de même pour Pandorum. Certes, sous la supervision de sieur Event Horizon lui-même, Paul W.S. Anderson, le film ne déploie pas, ou peu, d’idées neuves. C’est sur le plan de la narration et de la mise en scène toutefois, que les aventures de Bower et Payton s’affirment comme pertinentes. Alors que, comme je le regrette souvent dans ces pages, le twist a depuis longtemps fait main basse sur le fantastique contemporain, Pandorum puise sa force d’une ignorance inverse. En effet, la technique du twist repose sur des trous que le spectateur, dépourvu d’informations, ne peut compléter sans l’intervention du réalisateur, un procédé qui construit une amnésie proactive face à la narration. Ici, le spectateur en sait toujours autant que les protagonistes, qui ne dissimulent volontairement aucune information. Pandorum se construit et se redéfinit au gré de leurs réminiscences, et ne profite d’aucune omniscience ; pas même pour expliquer l’origine et la nature véritable des créatures qui se sont appropriées l’Elysium, qui resteront le fruit d’une simple hypothèse de la belle Antje Traue.
Pandorum est ainsi un film de réaction plus que d’anticipation. Christian Alvart prend son temps pour raconter une histoire, plutôt que de se démener à l’expliquer et l’expliciter, et aborde la construction visuelle de son métrage avec le même soucis de l’information utile. Certes, il abuse un temps de problématiques de perception autour de l’isolement du personnage de Payton, interprété par Dennis Quaid, mais même cet artifice procède d’un niveau d’incompréhension partagé par le personnage et le spectateur. En marche arrière par rapport à la majorité de la production contemporaine, Pandorum va même jusqu’à augmenter progressivement le nombre de ses protagonistes, plutôt que de décimer un groupe de façon syndicale.
Il ne reste alors à Alvart qu’à peaufiner son esthétique pour que Pandorum s’affirme comme une superbe réussite. L’omniprésence de gaines synthétiques dans les structures de l’Elysium offre un contrepoint bienvenu aux sempiternelles surfaces métalliques, les créatures s’imposent avec une insistance qui n’enrichit en rien leur compréhension (procédé transcendé par la série vidéoludique des Silent Hill), la poésie naît de tragédies apocalyptiques (le récit sublime du largage de dizaines de milliers d’hommes et femmes en suspension dans l’espace), l’enfer prend un nouveau visage redoutable au pied du réacteur du vaisseau, et même l’enfance est superbement pervertie... Je ne vous en dirai pas plus, de peur de vous gâcher la découverte d’un film qui aurait bien mérité de croiser son public en salles ; il m’apparaît toutefois évident que Pandorum survivra comme peu d’œuvres de SF récentes à l’épreuve du temps. Un peu comme Event Horizon finalement, qui, l’eusse-t-on cru, s’améliore avec chaque vision, bien que parti d’un niveau d’appréciation bien moins honorable.
Pandorum est disponible, en France, en DVD et Blu-ray chez M6 Video. A noter que, si ma mémoire est bonne, les deux supports sont proposés au même prix. Ce qui, du coup, rend le DVD un peu cher : on n’est jamais content, hein ?



