Partho Sen Gupta
Parcours pour le moins atypique que celui du réalisateur indien Partho Sen Gupta qui, après les studios de Bollywood et le poste de chef décorateur pour Alain Corneau, s’est retrouvé sur les bancs de la Femis. Le festival des Trois Continent a été l’occasion de découvrir Let the Wind Blow, production mi-poule au pot, mi-poulet tandoori qui nous a bien plu. Rencontre avec un réalisateur après son premier long-métrage.
SdA : Comment êtes-vous passé des studios de Bombay à la Femis ?
Partho Sen Gupta : Mon parcours est assez bizarre. En plus dans mon film je parle du destin : est-ce donc déjà écrit ou en est on le maître ? Je viens d’un milieu modeste, je suis allé à l’école jusqu’au lycée puis mon père est décédé et comme j’étais l’ainé j’ai dû travailler pour aider ma famille. J’ai donc fait des petits jobs à droite à gauche. Puis une copine qui était costumière dans le cinéma, m’a demandé si je ne voulais pas travailler avec un décorateur car je dessinais assez bien. Elle m’a envoyé dans un studio à Bombay où se tournait un film de Bollywood. J’avais rendez-vous avec le chef décorateur et je suis arrivé au moment où il tournait le dernier plan du film. Or dans dans le décor de celui-ci, il y avait un noeud de pendu. Les décorateurs avaient fait une noeud, mais le réalisateur voulait un vrai noeud de pendu comme dans les prisons, et ils n’arrivaient pas à le faire. Je me suis alors proposé. Finalement je suis rentré dans le cinéma en faisant un noeud de pendu.
Je suis resté apprenti pendant quelques années, puis assistant et ensuite responsable décorateur. J’ai fais des films de Bollywood, des pubs, des séries TV et des films d’art et essai. Ma relation avec la France a commencé lorsque j’ai été chef décorateur de Nocturne Indien d’Alain Corneau. Par la suite, quand les français venaient en Inde, ils me demandaient comme chef déco. Du coup, le service culturel de l’Ambassade de France m’a dit que ce serait bien si j’apprenais le français, et j’ai donc été à l’Alliance Française. En 1992, l’attaché culturel m’a demandé si un stage d’été à la Femis pour les gens des pays du sud m’intéresserait. J’ai donc été pour la première fois à la Femis en juin 1993 faire un stage de deux mois. A la fin, on devait tourner un petit documentaire. Moi, j’ai réalisé une fiction et le directeur de l’époque a aimé mon film et m’a demandé de présenter le concours à l’international.
Je suis curieux de savoir comment s’est passée votre intégration à la Femis, qui a la réputation d’être assez intellectuelle ?
C’est une école comme toutes les écoles, et c’est à l’étudiant de décider de ce qu’il veut y faire. Oui, il y avait beaucoup d’étudiants qui venaient d’une formation intellectuelle et qui allaient vers un cinéma intellectuel. Pour moi, c’était différent parce que j’avais déjà travaillé avant, et je ne vivais pas du tout dans cette espèce de petite bulle : ils allaient devenir les grandes stars du cinéma français. Moi, j’étais plus terre à terre, j’avais du matériel et de la pellicule et pendant trois ans j’ai réalisé beaucoup de court-métrages. Au cours de cette période, j’ai appris à faire une mise en scène, comprendre la technique... C’est trois ans que j’aimerais bien refaire.
Vous avez appris plus finalement à l’école que sur les plateaux en Inde ?
Non, parce que sur le plateau j’étais formé comme décorateur, ce qui est très différent du point de vue de la mise en scène. Je connaissais les techniques décors, mais pas ou peu les techniques caméra, laboratoire... Pour moi, cette formation a été très intéressante. J’ai réussi à faire un film avec très peu d’argent car j’ai appris des choses à la Femis. J’ai appliqué ma formation décor avec la formation mise en scène apprise à la Femis.
Comment s’est monté le projet et comment s’est passé le tournage du film avec une équipe franco-indienne ?
Le tournage s’est très bien passé. Le film est une coproduction entre l’Inde et la France qui a bénéficié du fond Sud [1]. Ce fond exige que l’argent aille à une production française et que l’argent soit dépensé en France. Je suis obligé d’utiliser des techniciens ou des structures françaises. Ce qui est intéressant car l’argent est réinjecté dans le métier. En outre, j’ai tourné en numérique. En Inde, quand j’ai parlé avec des chefs opérateurs indiens, ils avaient peur que cela fasse très télé. Que cela fasse très plat, car le numérique a tendance à écraser tout. Moi, je voulais vraiment essayer le numérique. En fait, j’ai trouvé mon directeur de la photographie sur Internet. il m’a fallu trois ans pour trouver l’argent et écrire le scénario. Comme je n’avais jamais travaillé en numérique, j’allais souvent sur le site américain cinematography.net. C’est un forum de chef opérateur, où des chef op très connu répondent aux questions. Pendant des mois, j’étais présent sur ce forum à poser des questions sur le numérique et à recevoir des réponses. Au bout d’un moment, j’y étais connu et j’ai annoncé que j’avais reçu le fond Sud. On m’a demandé qui j’avais comme chef op et j’ai répondu que je n’en avais pas encore, et que je cherchais quelqu’un qui connaisse bien le numérique. Par contre, je n’avais pas beaucoup d’argent, et je ne pouvais payer qu’en poulets tandoori (rires). Et donc Jean Marc Férriére m’a dit qu’il était d’accord d’être payé en poulets tandoori. Il avait une connaissance de la vidéo, mais surtout du transfert de la vidéo sur le film, qui est l’étape la plus importante techniquement.
La photographie est vraiment réussie, notamment les scènes de nuit dans Bombay.
On avait beaucoup travaillé avant, c’était également le premier long-métrage de Jean-Marc, qui avait travaillé sur des court et des moyens métrages. En plus, les labos nous ont aidé. Avec le numérique, le principal problème c’est le niveau des noirs. Il ne faut pas les exploser. C’est au cours du transfert que l’on contrôle tout.
Pourquoi avez-vous choisi ces tons qui tirent parfois sur le sépia ?
L’idée était de montrer le côté chaleureux de Bombay, et le soir la ville est éclairée avec des ampoules au sodium. Les séquences de nuit ont été tournées presque sans lumière. Mais, on a quand même gardé ce côté orangé du soir. On a acheté trois lampadaires, les mêmes que dans les rues de Bombay, et on les a ajouté à ceux qui était déjà présents dans les lieux où on tournait.
Dans ces scènes de nuit, on ne trouve pas les problèmes de profondeur de champs que l’on rencontre fréquemment dans les films tournés en numérique ?
On n’a jamais eu de problèmes. Ce sont des calculs mathématiques.
Revenons-en à la mise en chantier du film...
La productrice est une ancienne directrice de production qui a monté sa boîte exprès pour le film, car j’ai mis deux ans pour trouver quelqu’un pour le produire. Aujourd’hui, on a réussi sans expérience à faire ce film, on est sélectionné par des festivals, on gagne des prix. On n’a pas de distribution pour l’instant, mais j’espère que cela va venir.
Pour un premier film, Let the Wind Blow est ambitieux, il évoque à la fois des problèmes sociaux, géopolitiques...
Quelque part je parlais de moi et de mon pays dans ce film. Après mon séjour à la Femis, j’avais envie d’y retourner et de parler de choses qui me touchaient. Les personnages sont à la fois moi, des amis, des gens que j’ai connus quand j’étais jeune. La fin est un grand sujet de discussions, certains ont dit des choses biens, d’autres ont été choqués. Je suis assez fier d’être allé au bout de ce film.
La vision de l’Inde dans votre film est très pessimiste ?
Je ne pense pas. Dans le pessimisme, je suis optimiste. On ne peut pas apprécier un beau levé de soleil si on n’a pas passé la nuit noire. Pour moi, c’est une façon de provoquer des discussions sur cette idée du destin, du nucléaire qui est un soucis dans mon pays. Mais le film reste assez drôle, même si cela ne passe pas toujours en sous-titrage. Mais il fonctionne bien à Bombay, car il a été tourné dans la langue populaire de la ville. Pour moi, le problème de la jeunesse d’aujourd’hui, qui était également celui de mon époque, est qu’elle est toujours attirée par des choses qui sont matérielles. On oublie derrière tout ce que la vie offre : l’amour, la vie communautaire, les liens familiaux... On va de plus en plus vers un vie individualiste et on oublie tout le reste.
Ce qui m’a frappé dans le personnage central, c’est qu’il prend peu ou pas de décisions personnelles.
Pour moi, il représente la jeunesse perdue dans le monde d’aujourd’hui. Il cherche toujours quelqu’un qui peut l’aider à se décider.
Est-ce que vous pensez que le futur du cinéma indien se situe entre Bollywood et le cinéma d’art et essai, ou alors est-ce soit l’un soit l’autre ?
Je pense que Bollywood, c’est un cinéma national, un cinéma qui plaît. C’est pourquoi les américains n’arrivent pas à percer en Inde. Je ne suis pas contre Bollywood, car c’est quelque chose de très important. C’est un genre que l’on peut aimer ou pas, mais il aide le cinéma d’art et essai. Comme ici, le cinéma d’art et essai fait des expérimentations qui sont ensuite récupérées par le cinéma commercial. Comme ce cinéma existe, il investit dans du matériel, des infrastructures que nous utilisons ensuite. Quelque part, l’un aide l’autre. Les deux cinémas vont coexister. Il y a eu un mouvement d’art et essai dans les années 70/80, qui a été tué en raison d’un manque d’argent et de salles pour les projeter. Ce problème a été résolu, car aux grandes salles sont venues s’adjoindre des multiplex. Du coup, ils ont des petites salles et ont besoin de plus de films. En outre, dans les grandes villes, les jeunes cadres ou les étudiants ont envie de voir ce genre de cinéma.
Y-a-t-il un intérêt ou un moyen de concilier les deux approches, un film qui soit art et essai, mais également très indigène ?
Il y a déjà des personnes qui commencent à faire cela, et je crois que mon film est très indigène. J’ai des noms européens dans le générique, mais c’est un film vraiment indien qui a un côté populaire, un côté conte.
Vous pensez qu’il faut exclure les chansons des films de Bollywood, afin qu’ils soient plus facile à appréhender par un public occidental ?
Les chansons dans les films de Bollywood sont un système qui financent les films. Ils sont obligés d’inclure des chansons.
A propos de la musique, qui est très présente tout au long du film sous forme de musique d’ambiance, pourquoi avez-vous ressenti le besoin de rajouter une musique originale ? Je n’ai pas bien compris cette ponctuation musicale.
Pour moi, la musique originale fait partie de la mise en scène comme une coupe ou un changement de cadre. Elle vient de l’extérieur pour appuyer quelque chose.
Quelle est la principale difficulté que vous avez rencontrée lors de la création de ce premier film ?
La plus importante difficulté a été de construire une histoire qui tienne sur 90 minutes, alors qu’il est relativement facile de faire un court-métrage structuré. Des amis m’avaient averti de ne pas faire un film où le premier montage fait 3 heures et où il faut supprimer des scènes. On m’a conseillé de travailler avant et d’essayer de rester dans un format de 90/100 minutes, pas plus. J’ai fait un gros travail de montage sur le scénario, qui faisait deux fois 50 pages. En fait, j’ai monté le scénario.
Vous avez des projets en cours ?
Je suis en train d’écrire un long-métrage que je compte tourner en Inde.
Interview réalisée le lundi 19 novembre 2004, lors de la 26ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes).
[1] Le Fonds Sud Cinéma concerne les projets de films de fiction, d’animation ou documentaire de création, destinés à l’exploitation en salle en France et à l’étranger. L’aide accordée est en moyenne de 110 000 euros par film et ne peut excéder 152 449 euros. Elle doit être affectée majoritairement à la post-production en France, avec dérogation possible portant sur 15 à 25 % du montant de l’aide



