Passions Juvéniles
Sea, Sun and Sex
1955 : La Fureur de vivre dresse le portrait d’une jeunesse américaine désenchantée et confrontée à l’incompréhension de leurs parents. Deux années plus tard, Brigitte Bardot fait éclater sa sensualité solaire à l’écran dans Et Dieu créa la femme. Entre ces deux films, Crazed Fruit fait scandale au Japon dans sa description d’une jeunesse dorée adonnée à l’hédonisme.
Suite à la publication du roman de Shintaro Ishihara La saison du soleil, 1956 voit l’éclosion d’un véritable phénomène de société au Japon baptisé taiyo zoku ou tribu du soleil. Dans ce roman, et le suivant, Crazed Fruit, Shintaro Ishihara décrit la vie de jeunes désœuvrés de la bourgeoisie nippone. Ceux-ci trompent l’ennui de leur vie de privilégiés dans des night-clubs à la recherche de filles aux moeurs dissolues.
Dans Crazed Fruit, nous les retrouvons dans la baie de Sagami. Ils tuent le temps en profitant des joies de la mer : le soleil, les bateaux à voile et à moteur, le ski nautique... Introduit dans cette confrérie par son frère aîné, Natsuhisa, Haruji va perdre son innocence à leur contact. Sa rencontre avec une jolie pépée dans les escaliers de la gare de Kamakura va changer son destin.
Lors d’une scène, véritable manifeste de leur vision du monde, les personnages expriment leur rejet des valeurs de leurs parents. Ils jugent vivre à une époque ennuyeuse et proclament faire de cet ennui leur credo.
Ce rejet des conventions sociales, pourtant si importantes au Japon, Natsuhisa et consorts ne se contentent de l’exprimer par le verbe, mais aussi par leurs comportements. Peccadilles pour nous, mais conduites choquantes et rarissimes au Japon, ils ne payent pas leur ticket de train et font preuve d’impolitesse dans un pays où elle est inscrite dans la langue même. Ils se distinguent également par un individualisme contraire à la prépondérance du groupe sur l’individu. Natsuhisa n’a que faire de ses parents ; quant à sa relation avec son frère, elle va tourner à l’aigre. Film à scandales de la fin des années 50, ses audaces nous semblent pourtant désormais bien tièdes. A l’époque, le film avait aussi choqué par le comportement sexuel de cette jeunesse (nomadisme sexuel, adultère...), mais sa représentation à l’écran nous semble bien sage.
Lors de sa sortie, le film a provoqué une levée de boucliers de la part des associations bien pensantes de l’île. Suite à cette pression, la Nikkatsu ne produira plus que des seishun-eiga [1] édulcorées.
Crazed Fruit va constituer le premier succès de la Nikkatsu fondée en 1954. L’engouement pour ce film s’explique par la fascination pour le mode de vie de ces jeunes bourgeois, hors d’atteinte pour l’écrasante majorité des teenagers japonais, et par leur rébellion contre cette société si policée. Mais par ailleurs, plus de 10 ans après la capitulation, l’archipel s’est redressé et pour la jeunesse une nouvelle ère s’annonce. Le miracle japonais leur permettra bientôt également de goûter à des plaisirs jusque-là inaccessibles.
Pour le cinéma, un nouvel âge se profile aussi. Nagisa Oshima, alors critique de cinéma, discerne dans ce film les prémices d’une nouvelle vague nippone, dont il sera un des principaux acteurs.
Des raisons, plus “people”, ont permis à ce film de ne pas être effacé des tablettes. Crazed Fruit va mettre sur orbite la carrière de Yujiro Ishihara, frère du romancier. Ce dernier va devenir une véritable icône du cinéma et de la chanson. Source importante de revenu du cinéma japonais, la comparaison avec Elvis Presley est souvent évoquée à son égard.
Le réalisateur Ko Nakahira va rapidement tomber dans l’oubli. Il finira par cachetonner dans les studios de la Shaw Brothers, et y réalisera d’ailleurs un remake de Crazed Fruit. Le reste de l’équipe connaîtra un meilleur destin.
Shintaro Ishihara s’est lui recyclé dans la politique avec comme fonds de commerce un populisme au relent xénophobe. Actuellement gouverneur de Tokyo, il a connu son heure
de gloire dans les années 1990 en dehors des frontières du Japon en signant un pamphlet anti-américain, Le Japon qui sait dire non.
Ce film marque la première participation du désormais très célèbre compositeur Toru Takemitsu. Accompagné de Masaru Sato, collaborateur régulier d’Akira Kurosawa, il nous offre notamment un thème jazzy qui va dégénérer en couinement d’ukulélé. Une évolution musicale à similaire à la dérive morale des personnages principaux. Le chef opérateur, Shigeyoshi Mine, montrera lui toute l’étendue de son talent au service de Seijun Suzuki.
Crazed Fruit est disponible en DVD zone 1 chez Criterion. Cette édition nous offre une image de très bonne qualité, mis à part bizarrement une séquence de quelques secondes. Dans un livret de 8 pages, deux critiques américains évoquent le film et le phénomène ‘taiyo zoku’. Le bonus principal est constitué d’un commentaire audio de Donald Richie, qu’il n’est plus besoin de présenter.
[1] Films sur les excès de la jeunesse.



