Personne ne sait rien des chats persans
27 mai 2009, une dépêche de l’AFP citant un article du journal iranien, Jam e Jam, annonce l’arrestation de 104 personnes présentées comme des « adorateurs de Satan », « qui buvaient de l’alcool et suçaient du sang ». Sous ce vocabulaire imagé, les autorités iraniennes désignent les participants à un concert de rock. La vision officielle de la musique occidentale par la République islamique d’Iran parle d’elle-même.
Ashkan et Negar, les deux membres masculin et féminin d’un groupe de rock indépendant iranien, qui viennent sortir de prison à cause de leur musique, en ont assez de ne pas pouvoir exercer leur art en liberté. Ils souhaiteraient s’exiler comme de nombreux compatriotes. Mais auparavant, ils veulent enregistrer quelques morceaux et constituer un groupe. Ils rencontrent Nader qui se fait fort de leur obtenir non seulement de faux visas et passeports, mais aussi l’autorisation officielle pour organiser un concert. Il sera leur Virgile, et le notre, pour nous guider dans cet enfer pour le rock qu’est la capitale iranienne.
Cette recherche des musiciens permet de plonger le spectateur dans la scène musicale underground iranienne, de la musique régionale à la soul, en passant par le heavy metal, pour finir par la house. Les groupes présentés ne sont pas forcément originaux, mais ils sont bons et j’ai pris plaisir à les écouter pendant que la caméra du réalisateur nous ballade dans la capitale iranienne baignant dans le smog. Une mention particulière à la chanteuse de soul dont la prestation est entièrement floutée.
Cette diversité musicale a quelque chose de réjouissant dans un contexte de répression étouffante. Le terme "underground" appliqué à la musique n’a peut-être jamais été autant mérité que pour décrire ce que montre le film. Car entre les menaces de la police, des bassidjis [1] , et des voisins qui peuvent les dénoncer, la musique rock au sens large se pratique dans la clandestinité des caves, des toits, voire des fermes isolées.
L’atmosphère de l’Iran décrite dans les Personne ne sait rien des chats persans nous semblera kafkaïenne. Mais le plus bizarre est qu’elle semble l’être parfois aussi pour les protagonistes du film ! Quelle n’est pas leur stupéfaction lorsqu’un policier arrête leur voiture car le passager tient un chien sur ses genoux. Les animaux de compagnie, « impurs », n’ont pas à se trouver à l’extérieur, fussent-ils dans une voiture !
Personne ne sait rien des chats persans a été filmé en moins de trois semaines. Ce sentiment d’urgence est bien convoyé par le rythme rapide du film, identique à celui de la moto avec laquelle les personnages se faufilent jusque dans les coins les plus reculés de Téhéran. Le dynamisme du film et ses épisodes humoristiques doivent aussi beaucoup à l’acteur qui joue Nader et parle aussi vite qu’une mitraillette [2]. Car si le sujet est sérieux, l’absurdité du "système" rend le rire inévitable. Le "manager " madré du groupe symbolise le sens de la débrouille qui permet aux iraniens de soulever la chape de plomb. Vince Vaughn n’est jamais très loin de Kafka.
Le réalisateur n’a pas d’illusion sur la possibilité de diffuser son film dans son pays. Lors d’une des premières séquences, un des acteurs fait référence à sa situation de musicien et de metteur en scène, dont le film est interdit de projection officielle en Iran. Les iraniens ne sauront donc rien des Chats persans...
Personne ne sait rien des chats persans a reçu le Prix spécial du Jury Un Certain Regard lors de la dernière édition du Festival de Cannes, ex-aequo avec Le père de mes enfants de Mia Hansen-Love. La sélection a été reprise au cinéma Reflet Médicis à Paris.
Le film a été co-écrit avec la journaliste américaine d’origine iranienne, Roxana Saberi, qui a été libérée de sa prison iranienne quelques jours avant l’ouverture du Festival. Elle était notamment accusée d’"espionnage".
[1] Il s’agit d’une force paramilitaire, notamment chargée de veiller à ce que la population respecte les mœurs islamiques. Pour faire court, ils sont les gros bras du régime.
[2] Hommage à Ramdam, chanson de La souris déglinguée sur les groupes de rock qui défient les dictatures


