Picture Bride
L’invention de la photographie semble avoir eu pour effet inattendu la systématisation des mariages à distance et le développement d’une immigration féminine à Hawaï. En réalisant Picture Bride, Kayo Hatta, native de l’archipel, dont c’est le premier long métrage, tente de nous sensibiliser à un aspect méconnu de l’histoire de l’île, annexée par les Etats-Unis en 1900. Mélangeant faits historiques et fiction, Picture Bride décrit la vie emblématique d’une jeune japonaise, Kiyo, partie épouser un japonais travaillant dans les plantations sucrières de l’île.
On apprend que de 1907 à 1924, plus de 20 000 jeunes femmes sont venues à Hawaï munies de la photo d’un homme inconnu qu’elles allaient épouser [1]. Parmi elles, de jeunes japonaise issues de familles paysannes modestes, partaient dans l’espoir d’y faire fortune, mais ne trouvaient finalement que désillusions et dur labeur. C’est pour rendre hommage à ces femmes, que Kayo Hatta à passé cinq années à faire des recherches sur le sujet. A l’origine destiné à la réalisation d’un documentaire, elle optera finalement pour une fiction réaliste teintée de romantisme.
En 1918, la jeune Kiyo, dont le père vient de décéder, se retrouve orpheline et décide de fuir son passé et sa condition en choisissant d’épouser l’homme dont elle a reçu la photo. Pleine d’appréhension, elle embarque dans un navire aux côtés d’autres futurs épouses pour rejoindre ce mari inconnu sur l’archipel d’Hawaï. Mais à son arrivée elle constate avec dépit que son mari, Matsuji, est bien plus âgé que la photo, et qu’il habite une demeure rustique et modeste. Elle doit rapidement se rendre à l’évidence de cette tromperie, et pense déjà à repartir. Mais, issue de la ville (Yokohama) elle n’est par familiarisée au travail dans les champs et sa frêle constitution la rend inapte à cette rude tâche. Déterminée elle ne baisse pas les bras ; mais elle se rend compte que malgré tous ses efforts, son maigre salaire ne lui permettra pas de s’offrir le coûteux voyage de retour au Japon. Elle découvrira cependant au travers des épreuves, que son mari est un homme bon et courageux et parviendra à s’intégrer au sein de cette communauté à force d’abnégation.
Prenant comme modèle une héroïne type des mélodrames américains, Kayo Hatta s’attache à décrire le courage et l’abnégation dans les épreuves auxquelles elle doit faire face, au cours d’une vie pour laquelle est n’est pas préparée. Ce personnage attachant, interprété par la délicieuse Yuki Kudo (vue dans Typhoon Club du regretté Shinji Somai, ou plus récemment choisie pour l’adaptation de Memoirs of a Geisha d’Arthur Golden par Rob Marshall) porte en elle toute les souffrances et les espoirs de ces femmes déracinées et vouées à une vie d’esclave.
Travaillant la journée dans les champs, et le soir pour leurs maris partis parier leur maigre pécule, elles sont les véritables héroïnes de ce récit. Mais l’équilibre délicat entre romantisme mielleux et dramaturgie poignante est parfois source d’égarements. De ce fait, Picture Bride tire vers le mélodrame classique américain façon La Couleur Pourpre, mais sans les moyens. On peut regretter le parti-pris de la fiction sur le documentaire, même si la reconstitution du cadre de vie sur l’archipel au début du siècle est réaliste et donne même lieu à de beaux moments de cinéma (les plans panoramiques sur les champs avec les ouvrières chantant en coeur des hole hole bushi [2]).
Dans son désir de rendre hommage à ces femmes, la réalisatrice concentre toute son énergie et son émotion sur les épaules de Kiyo. Mais cette jeune femme exemplaire en devenant une mère courage, tombe petit à petit dans le pathétique et décrédibilise la réalité et le drame humain de cette communauté. Sans tomber dans le sentimentalisme, on retrouve néanmoins les défauts d’un cinéma américain aseptisé (Miramax en est le distributeur) visant le tout public. Le dosage entre romantisme, paysages carte postale (la scène dans les cascades), tragédie et un soupçon d’érotisme nuit au réalisme et à la précision de l’étude des conditions de vie de l’époque. Les personnages secondaires son parfois caricaturaux et manichéens, comme le chef des récoltes portugais. Et quand ils ne le sont pas, ils manquent tout simplement d’épaisseur (le patron américain et sa femme). Saluons tout de même l’avant-dernière apparition de Toshiro Mifune en benshi présentant un vieux jidai-geki sur un drap tendu en plein milieu des champs.
Par ailleurs, Picture Bride dévoile aussi des aspects sociologiques inattendus qui auraient mérités un traitement plus poussé. On apprend en effet qu’il régnait un racisme inter-ethnique important entre les travailleurs japonais et les philippins, qui pour le même travail étaient sous-payés. La vie dans les plantations obéissant à un système rigide de castes où les patrons anglais dominent les portugais qui supervisent les récoltent ; les travailleurs japonais, puis les philippins, venant ensuite. La grève, bien réelle historiquement, est à peine évoquée [3], et suggère une période de troubles et de changements économiques sur l’île.
Élément dramatique autant qu’indispensable à la compréhension culturelle, le folklore et les croyances cimentent la communauté japonaise et permettent le rapprochement final du couple Kiyo et Matsuji. Kayo Hatta montre que pour s’adapter à cette vie pénible en terre étrangère, le maintien des traditions est une condition vitale. Kiyo qui est tourmentée par son passé ne parvient pas à se débarrasser des fantômes qui la hante. C’est seulement lorsqu’elle s’en libère (l’apparition de son amie morte brûlée dans les champs) qu’elle peut enfin vivre paisiblement et accepter son destin de couple sur l’archipel. Grâce aux rites bouddhistes elle trouvera sa place eu sein de la communauté ainsi que la paix intérieure. Cet aspect est habilement utilisé dans la dramaturgie du récit, lorsque Matsuji présente l’autel avec la photo de leurs ancêtres à sa femme. Le rite du toro-nagashi (lanterne flottante) aidant les esprits à regagner la terre des morts et la communauté se consolide finalement lors de la fête d’Obon [4], au cours d’une danse célébrant l’esprit des morts.
Dans son désir de réussir l’alchimie entre authenticité et besoin de toucher un large public, Kayo Hatta opte parfois pour des choix esthétiques préjudiciables au propos. Malgré ces maladresses, le mérite de Picture Bride est d’ôter le voile sur un aspect méconnu du développement socio-économique d’Hawaï. Aujourd’hui terrain de jeux (et de golf) préféré des touristes japonais, sous l’impulsion américano-asiatique, Hawaii témoigne d’un développement économique et touristique démesuré, souvent au détriment de la culture locale.
VHS et DVD (zone 1) édité par Miramax Home Entertainment (sous-titré en anglais pour les dialogues en japonais).
[1] Vers 1850, les patrons de l’industrie sucrière florissante, pour palier à la main d’oeuvre indigène, allèrent chercher des ouvriers dans d’autres pays et notamment en Chine, au Japon, au Portugal, à Porto Rico et en Corée. Constatant l’essor de cette industrie, les Etats-Unis s’intéressèrent aux affaires de l’île, ce qui menât par la suite à l’annexion de l’archipel.
[2] A l’image du blues des esclaves noirs américains, ce sont des chants entonnés par les femmes japonaises travaillant dans les plantations, afin de s’encourager.
[3] En 1920, les japonais et les philippins participèrent à une grève de 6 mois pour l’améliorations des conditions de vie et de salaires dans les plantations sucrières de l’île.
[4] Obon (ou Urabon) est la fête des ancêtres au Japon.



