Pyuupiru 2001-2008
Daishi Matsunaga a suivi durant près d’une décennie, de 2001 à 2008, le parcours de Pyuupiru [1], artiste visuel, depuis ses débuts jusqu’à sa phase de maturité. Étant son ami, sans doute l’un des plus proches, Matsunaga est au plus près de l’être humain et du créateur, dévoilant les deux versants d’une personnalité hors-norme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le cinéaste qui a voulu filmer l’artiste au départ, mais bien ce dernier qui lui a proposer de le suivre et de réaliser un documentaire. On assiste donc dans cette continuité à l’éclosion de l’art de Pyuupiru et à la naissance d’un réalisateur, car auparavant Matsunaga travaillait davantage en tant qu’acteur, notamment dans Hush ! (2001) de Ryosuke Hashiguchi et Waterboys (2001) de Shinobu Yaguchi, ainsi que dans la production.
Dès les premiers instants, Pyuupiru détonne par son indéniable et troublante personnalité, sensible et émouvant androgyne au talent protéiforme. Son œuvre, d’une rare originalité, à la fois chatoiement de couleurs, de formes et de textures, brasse une multitude d’idées ahurissantes et semble venir d’un autre monde. C’est un peu comme si ce voyant halluciné était directement allé arpenter le cosmos pour élaborer sa série de costumes inspirée par les astres du système solaire. Univers qu’il est le seul à connaitre, à pouvoir nous faire découvrir et dont Matsunaga est l’indispensable accompagnateur.
Si l’on devait évoquer d’éventuels antécédents, vu d’Europe, il faudrait citer certaines comètes comme Leigh Bowery [2], la lumineuse égérie colorée des soirées londoniennes eighties ou encore la Française Orlan [3], pour ses diverses hybridations corporelles. L’intérêt et l’apport fondamental du travail de Matsunaga est d’être au cœur de la création, dans l’intimité de l’œuvre et de l’artiste, d’être présent et de filmer les moments de doute et les moments de joie, de révéler l’acharnement obsessionnel, le travail sans relâche, depuis la préparation des œuvres jusqu’à leur présentation au public, et ce sur la durée.
2001-2008 : une telle borne de dates, une telle volonté de s’installer, de creuser un sujet, une question, un environnement, nous fait forcément penser aux précédents au Japon, c’est-à-dire à l’œuvre de Shinsuke Ogawa et à son équipe qui passait des années entières à filmer les gens, une lutte politique, une culture ou la vie d’un village.
Cette démarche profonde, attentive et patiente, permet ici de saisir toute la maturation nécessaire à l’accomplissement du jeune homme qui devient, sur cette période, un artiste en pleine possession de ses moyens.
Comme si une certaine forme de génie et de beauté n’allait jamais sans tristesse et malédiction, le prix à payer semble lourd pour lui. En témoignent les déboires de sa vie privée, marqué par une profonde solitude, et une incapacité à trouver un compagnon. Malgré son physique agréable et sa douce féminité, Pyuupiru désire changer physiquement d’apparence, modifier différentes parties de son corps. Matsunaga réussit, privilège peut-être de son amitié et de son affection, à ne pas sombrer dans le racolage et à chaque fois à montrer ce qu’il est essentiel de comprendre pour saisir l’entière complexité du personnage. En donnant la parole à la famille de Pyuupiru, Matsunaga donne à voir de rares moments de tolérance, limite à vous arracher des larmes, face à ce qui pourrait être difficilement compréhensible et supportable pour des proches, surtout de générations plus anciennes et dans un pays dont on connait l’importance et l’attachement au groupe et à la norme.
Si le documentaire de Daishi Matsunaga n’est pas exempt d’approximations techniques, notamment au début du film, il a le charme de ses défauts, car l’on voit non seulement l’artiste à l’écran s’élaborer, mais aussi le film se faire et progresser finalement sur ces longues années. Du cinéaste débutant avec sa petite caméra, il semble devenir plus sûr de lui, et l’on prend grand plaisir à voir les deux amis évoluer conjointement, simultanément progresser dans leur travail respectif. Le film s’est arrêté en 2008, il semble que ce soit pour des raisons techniques (plus de 600 heures d’enregistrement sur presque dix ans !), mais aussi parce que Pyuupiru semblait avoir atteint une certaine maturité et franchi une étape. On attend la suite avec impatience, puisque Matsunaga nous a confirmé qu’il y aurait un futur prolongement... Après Yonghi Yang, Tetsuaki Matsue, le jeune documentaire japonais continue de nous réserver de très bonnes surprises !
Pyuupiru 2001-2008 a été présenté dans la section Nippon Digital au cours de la 10ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).
Pyuupiru 2001-2008 sera présenté en avant-première Française lors du Festival Paris Cinéma qui aura lieu du 3 au 13 juillet 2010.
[1] Site de l’artiste (en anglais et en japonais : http://www.pyuupiru.com/
[2] Designer, performer, clubber, artiste total, Leigh Bowery (26 mars 1961-31 décembre 1994) a fait l’objet d’un intéressant documentaire en 2002 intitulé The Legend of Leigh Bowery. Un site internet rend compte de son délirant travail. Site sur l’artiste Leigh Bowery : http://www.leighbowery.net/
[3] Né le 30 mai 1947 à Saint-Etienne, Orlan est une artiste plasticienne française qui n’a de cesse d’interroger le corps et, principalement, son propre corps. Site de l’artiste : http://www.orlan.net




