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Japon

Rashōmon

aka 羅生門 | Japon | 1950 | Un film d’Akira Kurosawa | Avec Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Masayuki Mori, Machiko Kyō, Daisuke Kato, Noriko Honma, Minoru Chiaki et Kichijirô Ueda.

Un déluge de pluie s’abat sur un impressionnant temple en ruine dans la campagne. Un homme s’y met à l’abri et y retrouve un moine et un bucheron au visage aussi sombres que les nuages. Le début de Rashōmon a des airs de fin d’humanité et donne le ton à l’ensemble du film.

Le nouveau venu les interroge sur la raison de leur tête d’enterrement. Les deux hommes lui expliquent qu’un fait divers horrible vient d’avoir lieu à propos duquel ils viennent de témoigner. Un bandit nomme Tajômaru est accusé de l’assassinat d’un samouraï et du viol de sa femme. Sous la forme de flashs-back, chaque protagoniste va livrer son témoignage, sans pour autant qu’un seul ne raconte la même histoire. Comme une ronde autour de la vérité, illustrée par une musique inspirée du Boléro de Ravel.

Rashōmon est fameux, et fort logiquement, à plus d’un titre, mais sa célébrité découle surtout de la structure du récit. Si elle a pour origine une des deux nouvelles de Ryūnosuke Akutagawa dont le film est adapté, Kurosawa a eu le toupet de la conserver pour le cinéma. Cette structure de scénario sera recyclée à plusieurs reprises par la suite, mais desséchée sous la forme de gimmick de scénario.

Cette organisation prive le spectateur de son statut de démiurge, qui voit tout et entend tout. Akira Kurosawa le place clairement dans la position du juge, ainsi que le montre également le dispositif de mise en scène utilisé lors des témoignages. Les protagonistes sont filmés assis face à la caméra, qui occupe la place du juge. Au spectateur de s’interroger sur la véracité des témoignages, mais aussi sur lui-même.

Rashōmon est en effet un film sur la faiblesse de l’âme humaine. Aucun des témoignages, fut-il celui semblant le plus approcher de la vérité, n’est totalement sincère. Tous les personnages mentent à des degrés divers pour se donner le beau rôle ou dissimuler un moment de faiblesse. Le bandit avoue ainsi avoir tué le samouraï, mais au terme du combat le plus acharné de sa vie, affirme-t-il. Interprété par Toshiru Mifune, Tajômaru, avec son côté fanfaron et sauvage, se réincarnera 4 ans plus tard en un double positif, en la personne de Kikuchiyo dans Les 7 samouraïs. « La plupart du temps, nous ne pouvons même pas être honnêtes avec nous-mêmes », résume franchement un des personnages.

Le cinéaste japonais nous livre une vision très noire de l’humanité, même s’il finit son film sur une note d’espoir. Un tel pessimisme est-il vraiment bien surprenant 5 ans après le cortège d’horreurs de la Seconde Guerre mondiale, qui a mis à genoux le pays ? Dans le grand ordonnancement des choses, la faillibilité de l’être humain peut être lourde de conséquences.

La véritable première scène du film, la marche du bucheron dans la forêt, reste un morceau d’anthologie 65 ans après sa réalisation. Non seulement Kurosawa, associé à son directeur de la photo [1], donne une leçon de technique, avec notamment ses splendides travellings, mais il distille l’essence du film. La pluie, nous l’avons vue, ainsi que les autres éléments contribuent grandement à créer l’ambiance du film, mais aussi à illustrer les intentions du réalisateur. Un plan insistant sur la hache éclairée par le soleil annonce les évènements tragiques ; l’ombre et la lumière, jouant sur les visages des protagonistes, illustrent les contradictions de l’être humain...

La maestria avec laquelle les scènes dans la forêt sont réalisées trouvera un écho dans Touch of Zen de King Hu, que nous avons pu revoir récemment au cinéma dans des conditions optimales. La lumière transperçant les frondaisons filmées frontalement par la caméra, contre toutes les règles, mais surtout le brio avec laquelle le réalisateur japonais filme les déplacements des personnes dans les sous bois, auront surement inspiré le réalisateur chinois, qui a lui même travaillé avec un directeur de la photo japonais sur L’Hirondelle d’or.

Rashōmon est à la fois très moderne dans la structure de son récit et sa mise en scène, mais l’influence du cinéma muet est aussi très prégnante. Akira Kurosawa fait des gros plans de ses acteurs au jeu très expressif, même s’il est moins outré qu’à l’époque du muet. La stupéfaction qui s’exprime sur le visage du bucheron lors de la découverte du cadavre du samouraï semble sortie d’un film d’Eisenstein.

Au-delà de ses formidables qualités cinématographiques, Rashōmon est crédité pour avoir permis de faire découvrir au reste du monde l’existence d’un cinéma japonais de grande qualité. Akira Kurosawa recevra le Lion d’or au Festival de Venise de 1951 pour ce film, ouvrant la voie à d’autres grands maîtres japonais. Les Contes de la lune vague après la pluie se verra décerner le Lion d’argent en 1953.

[1Kazuo Miyagawa est l’un des meilleurs directeurs de la photo de l’histoire du cinéma japonais. Les Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi compte parmi les films auxquels il a collaborés.

- Article paru le jeudi 3 septembre 2015

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