Ryû ga gotoku - jissha-ban
Something’s going to rock Japan...
SEGA ne fabrique peut-être plus de consoles - un instant de silence pour la vénérée Dreamcast - mais, en tant qu’éditeur, la firme du hérisson le plus véloce de l’univers continue régulièrement de porter des coups sérieux au marché du jeu vidéo. Car si Yakuza fait partie chez nous des sorties d’estimes, Ryû ga gotoku (2005) - c’est son nom au Pays du Soleil Levant - a fait un petit carton au Japon. Héritier restreint d’un certain Shenmue, à jamais emblématique de la chute contradictoire de l’empire SEGA, ce jeu qui vous place dans la peau d’un yakuza a fait l’effet d’une bombe chez les gamers nippons, avec sa modélisation impeccable de l’un des plus emblématiques quartiers de Tokyo, son étude visiblement incroyable du langage des tatoués, son authenticité criminelle. Chez nous forcément, l’impact culturel est diminué par un doublage anglais lamentable, sans aucune personnalité. Mais l’édifice reste passionnant, grâce un système de combat simplet mais jouissif, et une histoire et des personnages fouillés. On passe presque autant de temps, dans Ryû ga gotoku, à regarder des cut-scenes qu’à jouer : plus qu’un jeu, c’est un film dans lequel on progresse à la force des coups de tatane de son héros, Kiryû Kazuma. Au passage, les coûts de développement de l’opus et de sa première suite, sortie quasiment dans la foulée, sont parmi les plus élevés de l’histoire du jeu nippon.
Un détail financier qui a son importance ; car si l’adaptation cinématographique était évidente autant qu’inévitable, son mode de promotion l’était moins sans considérer les deux et quelques milliards de Yen engagés dans le développement. Adaptation ultérieure signée Takashi Miike, qui s’est retrouvée chargé, sous la dénomination étrange de "integration director", d’un moyen métrage de promotion de 40 minutes, servant d’introduction au jeu. Une première dans l’histoire du marketing vidéoludique, véhiculée gratuitement au travers de cette merveilleuse invention, vous en conviendrez, qu’est Internet. Derrière la caméra, Takeshi Miyasaka, habitué du genre puisque responsable des troisième et quatrième opus de la série des Tokyo Mafia starring Riki Takeuchi, et non pas Miike lui-même comme l’ont trop souvent indiqué les sources que j’ai pu consulter. [1]
Si les premières images de ce prologue sont celles du jeu - la mort du chef du clan Tojo dont Kazuma décide de porter la responsabilité - Ryû ga gotoku - jissha-ban remonte rapidement quinze ans dans le passé pour narrer l’arrivée de la jeune Yumi, après la mort violente de ses parents aux mains de yakuza, au Sunflower Orphanage où grandissent Kazuma et Nishiki. Trois enfants qui ont perdu leurs familles au crime organisé et qui devraient haïr les yakuza. Pourtant, lorsqu’ils découvrent que c’est l’un d’eux qui gère l’établissement modeste, et sauve la soeur malade de Nishiki, ils se promettent de travailler pour lui dès qu’ils auront la maturité nécessaire. Une maturité acquise à la force des poings, les deux enfants étant particulièrement bagarreurs et excellant dans ce passe temps.
Bien que particulièrement elliptique en raison de sa nature et de sa courte durée, Ryû ga gotoku - jissha-ban est un exercice intéressant. Sa réalisation est plus que convenable pour une publicité, et l’on pourrait même croire par moments - la façon dont sont filmées les déambulations urbaines des personnages par exemple, ou encore la mort des parents de Yumi - que Miike lui-même est aux commandes. L’interprète de Kazuma laisse à désirer, pas assez racé pour correspondre à son homologue numérique, mais peu importe puisque, de toute façon, il n’est pas le centre d’intérêt de cette introduction. C’est Yumi (Ayaka Maeda) qui lui vole la vedette, source implicite de distanciation entre les deux yakuza, et déclencheur de l’ensemble de la narration du jeu. Car c’est pour la protéger que Nishiki abat Tojo, alors que seul Kazuma avait jusqu’alors extériorisé ses sentiments pour elle. Seulement le traumatisme déclenche une perte de mémoire chez Yumi, qui prend peur de cet ami qui est devenu quelqu’un qu’elle ne connaît pas...
Ryû ga gotoku - jissha-ban ne figurera pas au panthéon des films de yakuza, c’est certain, mais là n’est pas son ambition. En tant que teasing de luxe, destiné à attiser l’impatience des joueurs en parvenant à embrasser les principaux protagonistes d’une histoire en devenir, c’est toutefois une petite merveille. Et pour les fans de Miike, l’office est double ; car au vu des bastons de rue, dont l’esprit comme le cadrage reproduisent fidèlement le jeu, on se plaît à imaginer ce que le réalisateur d’Agitator a pu faire d’un jeu si brutal et démonstratif. Ce n’est pas comme si le film n’était pas disponible... réponse d’ici peu donc, dans ces pages !
Ryû ga gotoku - jissha-ban est disponible en DVD japonais, sans sous-titres, mais vous pouvez le visionner - et même le télécharger - gratuitement sur le site officiel du jeu, sous-titré en anglais !
[1] La confusion reigne tout de même encore très largement autour de cet objet, puisque IMDB a tout faux sur le casting du film, reprenant de façon erronée l’intégralité de l’équipe de Ryû ga gotoku, l’adaptation cinéma...



