Scorpion Woman Prisoner : Death Threat
Nami doesn’t live here anymore...
Une femme qui, déguisée en mendiante, s’avère être un assassin redoutable, est chargée par un directeur de prison borgne d’infiltrer une prison pour femmes, afin d’exécuter celle qui lui a pris la moitié de sa vue à l’aide d’une cuillère en bois taillée en couteau – une dénommée Nami Matsushima, connue entre les murs sous le sobriquet de Scorpion, « Sasori »... L’assassin délaisse la moto et les tenues de latex rouge au profit de l’uniforme carcéral, et tente d’avoir accès à la cellule de sa cible, cachot haute-sécurité dissimulé dans les souterrains rocheux de la prison. Quand elle y parvient, sa victime en devenir déclare pourtant ne pas être Matsushima ; qu’importe puisqu’elle y passe quand même. L’administration de la prison brûle devant les détenues la dépouille de Sasori, et laisse sa meurtrière, accrochée à une croix rouge dans la cour de l’établissement, en pâture à la colère de ces femmes qui vouaient un véritable culte à la défunte. Et notre héroïne elle, est en proie aux doutes, persuadée d’avoir été manipulée par ses commanditaires...
Alors que la relecture par Joe Ma du manga de Tôru Shinohara promène sa déception en tête de gondole de vos havres mercantilo-culturels, je me décide enfin à aborder la singularité que constitue l’incursion du réalisateur Toshiharu Ikeda (Evil Dead Trap, Hasami Otoko) dans la mythologie de la femme scorpion. Tourné en 1991 à destination du marché de la vidéo, Death Threat se distingue de ses prédécesseurs cinématographiques d’une façon drastique, puisque si son nemesis - le Directeur de la prison - est bien là, Sasori, elle, n’y est pas présente. Un choix étonnant, qui permet à Ikeda de livrer un Women in Prison teinté de Matheson, dont l’objectif est d’aller au delà du mythe pour faire de Sasori une véritable légende.
Sans qu’elle soit présente à l’image – si l’on excepte quelques flashbacks qui renvoient directement aux films de Shunya Ito – l’ombre de Sasori plane d’emblée sur le film. D’abord de façon iconoclaste, au travers d’une version pop rock hautement synthétique d’Urami Ibushi [1] qui annonce la perversion certaine de la démarche d’Ikeda, puis de façon plus sérieuse, dans l’écho émotionnel qui accompagne, chez les détenues, la moindre mention de son nom. Aux yeux de notre héroïne inattendue, la prisonnière rebelle prend de plus en plus d’importance, passant du statut de victime à celui d’adversaire par simple contagion de perception. Et alors que la déception d’une confrontation sans lutte laisse le spectateur perplexe, Ikeda joue cartes sur table avec nous, nous montrant les derniers instants de la vie de Sasori, emmurée par le directeur dans les souterrains de la prison. Sasori n’est plus, mais son aura et sa rumeur tiennent les prisonnières en laisse. Qui sait ce qu’il arriverait si la nouvelle de sa mort se répandait...
Pendant un certain temps, Scorpion Woman Prisoner : Death Threat aborde la question de façon assez laconique, entre l’hommage à Shunya Ito (la crucifixion symbolique de Natsuki Okamoto) et le siège carcéral plan-plan. Le film est agréable certes, mais Ikeda ne se foule pas en matière de réalisation, et le métrage s’avère visuellement assez austère en comparaison avec l’hexalogie originale - d’autant que cette prison, peu peuplée, est peu généreuse en ébats illicites, à l’encontre du genre. Ce n’est que dans son dernier quart que le film gagne en consistance, puise dans son classicisme la force de sa détonation silencieuse. Un glissement vers un fantastique façon Stir of Echoes, qui s’opère avec la réincarnation de Sasori dans notre héroïne, et fait de ce petit bout de v-cinema la plus inattendue des déclarations amoureuses à la figure immortalisée par Meiko Kaji. Avant de renouer, pour une conclusion en forme de (re)naissance, avec la vengeance chère à notre numéro 701, Ikeda s’offre même quelques éclats simples de mise en scène, au travers de visions fugitives des suites irréelles de la violence libérée par l’esprit de Sasori. Et un simple v-cinema, au pitch tout de même étonnant, gagne par la même occasion ses galons d’hommage atypique, respectueux et respectable.
Scorpion Woman Prisoner : Death Threat n’est disponible qu’en VHS au Japon, sans sous-titres, et c’est bien dommage.
[1] Le "chant du ressentiment", hymne de Sasori interprété à l’origine par Meiko Kaji et porté aux oreilles du monde entier des années plus tard dans le second volet du Kill Bill de Tarantino.



