She, a chinese
Le voyage en occident.
She, a chinese est le premier vrai film de fiction de l’écrivain et cinéaste chinois, Xiaolu Guo. Jusqu’à présent, elle n’avait fait que s’en approcher en mélangeant documentaire et fiction dans How is your fish today ?
Mei ne s’était jusqu’à présent pas éloignée de plus de quelques kilomètres de son village. Mais comme de nombreux chinois des campagnes, elle pense avoir elle aussi « droit aux choses qui brillent » [1]. Elle part avec une amie à Chongqing, une des plus grandes villes chinoises, pour travailler en tant que petite main dans une usine de confection. Mais Mei est rapidement virée, avant d’être embauchée au Love Salon. Où, ainsi qu’indiqué par l’un des intertitres, les clients ne se font pas seulement couper les cheveux... Fascinée par l’image de Big Ben, elle rejoint la Grande-Bretagne avec l’argent que lui a laissé son amant. Elle vit de petits boulots avant de se marier avec un retraité anglais, faisant enfin connaissance avec la douceur de vie de l’Europe de l’Ouest. Du moins pour un temps...
She, a chinese. Comme le souligne le titre, Mei est incontestablement chinoise, mais qu’est ce que cela signifie dans notre monde actuel ? La réponse n’est pas la même selon qu’elle vit à la campagne, dans une grande ville chinoise ou encore à l’étranger. Ici, en Grande-Bretagne où la réalisatrice s’est installée depuis quelques années. Mei est ballottée d’un pays à un autre, d’un travail à un autre, d’un homme à un autre. Elle est rejetée comme une greffe qui ne voudrait pas prendre.
L’interrogation de la réalisatrice se veut plus large : comment trouver sa place dans une civilisation mondialisée où les repères traditionnels ont disparu ? Une question qui concerne les chinois, mais aussi les autres peuples. Les frontières ne sont plus marquées par un poste de douane, mais par les mentalités. Xiaolu Guo utilise la nourriture, besoin essentiel et donc sujet aisément compréhensible par tous, pour souligner nos différences.
Mei est ainsi l’amante de Rachid, un Indien de foi musulmane, mais être tous les deux des déracinés n’est pas suffisant pour se forger un destin commun. Même en Angleterre, la cohabitation est difficile entre une chinoise, dont le porc est la viande de base, et un musulman pour qui la consommation de cette viande est haram [2]. L’Angleterre n’est pas mon pays, déclare finalement Rachid qui pense à repartir en Inde.
Même le retraité britannique, symbole du vieux monde, ne peut pas rester à l’écart de ces évolutions. S’il est toujours fidèle au sacro-saint œuf – au grand dam de Mei – en tant que sujet de sa Majesté, il a aussi adopté le chicken tikka masala. Un plat indien devenu le mets préféré de nos voisins d’outre Manche.
Le film est dominé par le visage mélancolique de Mei, qui semble s’épanouir dans les derniers plans du film, lorsqu’il est balayé par le vent du bord de mer. La Belle Bleue, promesse des nouveaux horizons que Mei possède en son sein.
Cette mélancolie est accompagnée par une belle bande originale à base d’instruments à cordes. Une B.O. de qualité, ce qui est habituellement rare pour ce type de film indépendant. Œuvre de John Parish, collaborateur de PJ Harvey, elle est relevée de quelques morceaux de punk rock chinois.
Dans ce monde aux frontières fuligineuses, il n’y a pas de raison pour que celles des arts ne le soient pas non plus. She, a chinese s’inscrit clairement dans le domaine de la fiction, mais la réalisatrice pioche dans les autres arts qui sont les siens. Des scènes purement documentaires ont aussi été intégrées dans ce film. Celle de la baignade du serpent est ainsi trop incroyable pour ne pas être vraie. Le film est aussi organisé en chapitres, pourvu chacun d’un titre comme son dernier ouvrage traduit en français : 20 fragments d’une jeunesse vorace ;
dont je recommande au passage la lecture en attendant la sortie française de She, a chinese. Vous découvrirez le personnage, attachant, d’une jeune campagnarde cherchant à faire son trou dans les milieux du cinéma à Pékin.
She, a chinese a été présenté lors de l’édition 2010 du Cinéma du Réel. Il a été récompensé en 2009 par le Léopard d’or du festival de Locarno. Le film devrait sortir en France le 1er septembre.
[1] Citation du livre de la réalisatrice, 20 fragments d’une jeunesse vorace, Editions Buchet/Chastel.
[2] Interdite.




